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SOUVENIRS FERROVIAIRES AU CIMETIÈRE DE MONTMARTRE

JACQUES OFFENBACH (1819-1880)

“ En 1866, quand Jacques Offenbach accepte de composer une sorte de vaudeville à couplets pour Plunkett, le directeur du Palais-Royal, il ouvre La Vie Parisienne sur le décor de la gare Saint-Lazare, qui sert d’avant-scène à sa célèbre caricature de la société parisienne.

Pour Offenbach, ouvrir son vaudeville à couplets chantés dans le décor incroyable de la gare Saint-Lazare est une manière d’illustrer l’idée que la « vie parisienne » constitue un choc : celui de la découverte d’un mode de vie opposé à celui de la Province, un mode de vie plus léger, plus mondain aussi, plus coquin, caractérisé par la modernité mais aussi les séductions (y compris charnelles) de la grande ville, qui permet toutes les folies et que recherchent les contemporains, surtout masculins d’ailleurs (le Brésilien et les deux amants bourgeois de Métella). Dans la gare, Paris se met en scène comme une grande aire de jeu, de plaisirs et fêtes : l’effet « à nous deux Paris ! » ”

Stéphanie Sauget

 

LA VIE PARISIENNE

« Nous sommes employés de la ligne de l'Ouest »

Philarmonie de Paris
Chef : François-Xavier Roth
Choeur des grandes écoles
Chef de Chœur : Frédéric Pineau

LA VIE PARISIENNE

Musique de Jacques Offenbach
Livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy

ACTE PREMIER

La salle d’attente de la gare du chemin de fer de l’Ouest. (rive droite.)

Scène Ière

EMPLOYÉS, FACTEURS.

CHŒUR.

Nous sommes employés de la ligne de l’Ouest,
Qui dessert Saint-Malo, Batignolles et Brest,
Conflans, Triel, Poissy,
Barentin, Pavilly,
Vernon, Bolbec, Nointot,
Motteville, Yvetot,
Saint-Aubin, Viroflay,
Landerneau, Malaunay,
Laval, Condé, Guingamp,
Saint-Brieuc et Fécamp.
Nous sommes employés de la ligne de l’Ouest,
Qui dessert Saint-Malo, Batignolles et Brest !

À la fin du chœur, cloche dans l’intérieur de la gare. Les employés et facteurs se dispersent ; un des employés reste en scène. Dans le brouhaha de la sortie, entrent Gardefeu et Bobinet.

Scène II

GARDEFEU, BOBINET, un employé.

GARDEFEU et BOBINET se promènent quelques instants, en s’observant l’un l’autre, puis ils s’approchent de l’employé.

BOBINET.

À quelle heure arrive le train de Trouville ?

L’EMPLOYÉ.

Dans cinq minutes, monsieur.

BOBINET.

Merci, monsieur.

L’EMPLOYÉ, se retournant vers Gardefeu

Monsieur désire quelque chose ?

GARDEFEU.

Non, rien ! J’allais justement vous demander ce que vous a demandé monsieur.

L’employé sort.

 
TOMBEAU DE JACQUES OFFENBACH (ARCHITECTE : CHARLES GARNIER)
TOMBEAU DE JACQUES OFFENBACH
ARCHITECTE : CHARLES GARNIER

du vendredi 8 octobre 1880

UN HOMMAGE À OFFENBACH

Au moment où la tombe vient de se refermer sur Offenbach, il a semblé au Figaro qu'il devait un témoignage public à l'ami regretté et en même temps au plus parisien, au plus spirituel, au plus original des compositeurs de ce siècle. Ne voulant pas se permettre l'initiative d'un monument en l'honneur du maître, — droit sacré, consolation suprême qui n'appartient qu'à la famille —, le Figaro, avec le concours de quelques amis d'Offenbach, va faire exécuter un buste en marbre, qu'il se propose d'offrir à l'un des théâtres de Paris, dont la gloire et la fortune ont été faites par Offenbach, au théâtre des Variétés ; ce buste sera placé dans le foyer du public.

Pour inaugurer ce dernier souvenir de l'illustre musicien, le Figaro organisera une représentation solennelle entièrement consacrée aux œuvres du maëstro. La salle ne sera remplie que par ses amis, c'est-à-dire qu'elle sera trop petite.

Le Figaro.

LES OBSÈQUES

Au cimetière

Avant de descendre le cercueil dans le caveau qui l'attend et qui est situé tout à l'entrée de la première allée de droite du cimetière, mais trop en retrait pour que les invités puissent trouver place autour, les porteurs le déposent un instant sur deux tréteaux placés exprès sur le côté gauche de l'allée.

M. Auguste Maquet s'avance alors et prononce le discours suivant :

Messieurs,

Le président de la Commission des auteurs et compositeurs dramatiques a voulu, au nom de la Société, offrir à notre cher et regretté confrère l'expression improvisée, incomplète, hélas ! mais profondément émue de notre admitation et de notre amitié.

De notre admiration ; car ce fut un merveilleux artiste, véritable poète comique, dont la grâce, l'esprit, l'imagination inépuisables ont fait, pendant un quart de siècle, le désespoir des envieux et les délices de notre pays comme de tous les autres.

Travailleur énergique, il a écrit plus de cent partitions dont un grand nombre sont les chefs-d'œuvre du genre qu'il a créé ; ce genre fin, élégant, délicat, éminemment français, dans lequel il n'a jamais été surpassé.

Ce fut aussi une âme intrépide, infatigable, que rien ne put vaincre, ni la douleur, ni l'adversité. Cette âme soutint dix ans ce corps épuisé, défaillant, elle le forçait à travailler, elle le forçait à vivre.

Cet hommage sincère rendu à la mémoire d'Offenbach, je l'offre à sa veuve, à ses enfants si cruellement frappés et si vite. Qu'ils nous permettent de prendre avec eux le deuil de celui que nous avons perdu ; nous étions sa famille aussi !

La fin de la cérémonie a été marquée par un incident émouvant. Selon l'usage, les parents étaient venus se ranger dans le voisinage de la tombe pour recevoir les compliments de condoléance des amis, usage barbare puisqu'il prolonge les angoisses des enfants qui viennent de traverser de si dures épreuves. Le jeune fils d'Offenbach faisait pitié à voir, il tremblait comme une feuille sous les secousses qui l'agitaient. Notre collaborateur Albert Wolff eut le courage de mettre un terme à cette scène poignante.

— Vous voyez bien que cet enfant est à bout de forces, dit-il, emmenons-le.

Et passant son bras sous celui du jeune Auguste, il l'entraîna. Le jeune homme se croyant retenu quand même par sa piété filiale, ne voulait pas s'en aller, Mais Wolff, l'embrassant, lui dit :

— Tu sais, mon jeune ami, si j'ai aimé ton père ! Eh bien, va-t-en ! Tu n'as plus rien à faire ici !

Et aidé par un autre grand ami de la famille, M. Nephtali Mayrargues, il fit monter de force ce pauvre enfant dans une voiture qui le ramena vers sa mère, dans la maison mortuaire. Il faut dire qu'à ce moment Albert Wolff était aussi ému que l'enfant qu'il a vu naître, et c’est pour cela que notre collaborateur avait décliné le douloureux honneur de tenir un des cordons dans le trajet de l'église au cimetière.

Ajoutons, en terminant, que la plus belle, oraison funèbre d'Offenbach a été le grand et réel chagrin de tous ceux qui ont vécu dans son intimité. Victorien Sardou, entre autres, a dû renoncer à prendre la parole sur la tombe. Il ne s'en est pas senti la force.

Jehan Valter.

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