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SCIENCE ET MONDE - LE PNEUMATIQUE AU SECOURS DU RAIL - 30 JUILLET 1931

 

“ LE PNEUMATIQUE AU SECOURS DU RAIL ”
DES TRAINS ROULERONT-ILS BIENTÔT SUR CAOUTCHOUC ?

Les expériences sur le réseau de l’État
Vitesse, Confort, Silence

Par Baudry de Saunier

Le pneumatique, sans qui la bicyclette ni l’automobile n’existeraient, nous réservait une dernière et grandiose surprise : sa conquête de la voie ferrée ! Le 24 juillet dernier, la Presse était conviée solennellement aux expériences de véhicules munis de pneumatiques spéciaux, roulant sur les rails de la ligne Chartres-Palaiseau, du réseau de l’État.

Tout un bouleversement, aux conséquences les plus heureuses, apparaît ici.

D’abord de quoi s’agit-il exactement ?

Il n’est pas du tout question de monter sur pneumatiques les locomotives ni les wagons actuels. Non que le fait, si extraordinaire qu’il paraisse tout d’abord, soit irréalisable : il faudrait que les rails (4 centimètres seulement de largeur utile !) eussent une surface de roulement suffisante, car il existe aujourd’hui des bandages à aire, pour camions, qui portent jusqu’à 8 tonnes par essieu, c’est-à-dire une charge à peu près comparable à celle que subit un essieu de voiture ferrée. Mais, naturellement, ces pneus géants roulent sur des surfaces routières aussi grandes qu’il est nécessaire pour que la pression unitaire sur le sol soit relativement faible.

C’est précisément l’extrême petitesse de la surface de roulement offerte par les rails qui constituait l’une des plus grosses difficultés de l’application du pneu au chemin de fer. Mais, en même temps, c’est cette difficulté qui a conduit la maison Michelin à la solution qu’applaudit toute la presse aujourd’hui : la voiture de chemin de fer automotrice et légère.

En quelques lignes, je vais rappeler la situation étrange et pitoyable au point de vue mécanique, dans laquelle s’est trouvé le chemin de fer dès l’origine et du fait même de sa conception.

Le tracteur à roues en fer qui doit démarrer et entraîner à grande vitesse tous les wagons à lui enchaînés, la locomotive, n’a, pour exercer son effort, d’autres points d’appui sur les rails que ceux, extrêmement peu nombreux (théoriquement une simple ligne droite) qu’y trouve chacune de des 4, 6 ou 8 roues accouplées. Le coefficient d’adhérence du fer sur le fer étant mauvais (0,2 environ), les ingénieurs n’ont d’autres ressources, pour empêcher la machine de patiner, que de la faire lourde, de plus en plus lourde (les locomotives de 1890 pesaient 50 tonnes à peu près ; celles de 1931 en pèsent fréquemment 180 !) — Et, pour raisons analogues (notamment tenue sur la voie), les wagons sont fabriqués de plus en plus pesants !

Les voies sont vite démolies par ces masses énormes, qui les franchissent à des vitesses toujours croissantes : on les fait elles-mêmes de plus en plus lourdes pour qu’elles soient plus solides ! Et, naturellement, la voie riposte au train en appliquant aux locomotives et aux voitures des chocs si violents qu’on est contraint, pour cette raison aussi, de les établir de plus en plus pesantes pour qu’elles puissent y résister !

Le chemin de fer est donc entraîné, par une fatalité de la mécanique, dans une sorte de cycle massique où, sans aucun recours possible, périssent à la fois ses espoirs de progrès et ses capitaux !

Le pneu-rail, essayé et perfectionné sans cesse depuis deux ans, l’entraîne dans une direction exactement opposée, dans une sorte de cycle léger où, se renouvelant en tous points, le chemin de fer ne peut que trouver à tous égards la fortune.

Le pneu-rail est un bandage de forme particulière, dont la section représente assez bien un carré dont un des côtés verticaux (que les géomètres me lapident !) serait plus petit que l’autre, et dont le côté horizontal inférieur (un des éléments de la surface de roulement) n’a que 6 centimètres.

La pression de gonflement est de 5 kilogrammes environ par centimètre carré. Un avertisseur de dégonflement prévient en sifflant le conducteur lorsqu’elle tombe à 1 kilogramme seulement. En cas de dégonflement total, un dispositif particulier empêche la roue de s’affaisser de plus de 8 millimètres.

Un boudin circulaire en acier, analogue à celui que comportent les roues actuelles des chemins de fer, empêche les deux roues d’un même essieu de se déplacer latéralement de plus de 3 cm ½ sur les rails. L’irrégularité de l’écartement des rails entre eux atteint parfois ce chiffre !

Enfin le bandage est à tringles, du type straight-side que connaissent tous les automobilistes, c’est-à-dire que la jante de la roue est plate et comporte un côté mobile qu’il suffit de retirer ou de remettre pour démonter ou remonter le pneumatique lui-même. Le remplacement d’une roue peut se faire, sur la voie même, en cinq minutes (fig. 4).

Telle est, dans ses lignes générales, la constitution d’un pneu-rail.

En quoi et comment nous apporte-t-il le progrès considérable que j’ai dit ?

En ce qu’il possède (caoutchouc sur fer) une adhérence naturelle trois fois plus grande (0,6) que celle du fer sur fer, et qu’ainsi, pour la rendre suffisante, tout recours au poids est supprimé. Et surtout en ce qu’il absorbe tous les chocs verticaux et latéraux, toutes les vibrations, qui rendent si pénible et si assourdissant le voyage en wagon et qui sont, sans pitié, les destructeurs de tout le matériel roulant des chemins de fer.

Désormais la voiture de voie ferrée peut donc être légère, de plus en plus légère au fur et à mesure de ses progrès. Légère, elle coût beaucoup moins cher à construire et à mouvoir. Légère, elle démarre et s’arrête en quelques mètres, comme une automobile, et par conséquent, circule à vue, sans que les coûteux signaux des voies ferrées actuels et les passages à niveau gardés et fermés lui soient utiles. Légère, elle donne au voyageur le plus complet confort de suspension et de silence. Les conséquences sont incalculables.

Évidemment, de tels changements ne peuvent s’opérer que lentement. Le véhicule à pneus sur voie ferrée débutera, dans ses utilisations pratiques, sur les lignes secondaires à faible trafic. Il y poursuivra, en quelque sorte, ses études. Puis, dans quelques années, nous commencerons à le rencontrer sur nos grandes lignes. Enfin, un jour viendra où nous nous demanderons comment des trains ont pu circuler dans le vacarme et sous les chocs effrayants que nous savons !

Fig. 1. – Le « pneu-rail » vu de profil
Fig. 1
Le « pneu-rail » vu de profil.
Il est maintenu latéralement sur le rail par un boudin, comme l'est une roue de chemin de fer.
Gonflé normalement à la pression de 5 kilogrammes, il est muni intérieurement d'un dispositif (un anneau de bois) qui, en cas de dégonflement ou d'éclatement, l'empêche de s'affaisser de plus d'un centimètre.
 
Fig. 3. – Une AUTOMOTRICE sur PNEUS-RAILS ou “ MICHELINE ”
Fig. 3.
Une AUTOMOTRICE sur PNEUS-RAILS ou “ MICHELINE ” vue par l'avant : Panhard 20 ch.
 
Fig. 4. – Le changement d'une roue munie d'un pneu-rail
Fig. 4
Le changement d'une roue munie d'un pneu-rail. L'opération demande à peine 5 minutes.
 
Fig. 5. –  Le PNEU-RAIL VU DE FACE
Fig. 5.
Le PNEU-RAIL VU DE FACE.
Il porte un avertisseur de dégonflement qui est en communication avec un tableau qu'a sous les yeux le conducteur du véhicule et qui siffle lorsque la pression dans la chambre à air du pneu-rail a baissé de 1 kilogramme.