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SIRAN • GORGES DE LA CÈRE

 

> Lu dans “ Le Temps ” du lundi 5 novembre 1928 (*)

Enquêtes économiques
L’ACTIVITÉ DE NOS RÉGIONS MONTAGNEUSES

Le Massif Central : la Cère

“ Bien que la barrière opposée par le Massif Central aux vents d'ouest ne puisse se comparer a celle des Alpes, elle est cependant suffisante pour forcer les masses d air à abandonner, par le fait même de leur ascension, une partie de l'humidité dont elles se sont chargées au-dessus de l’Océan.

Cette barrière atteint son point culminant au nord, au pic du Sancy (1,886 mètres), le plus élevé des Monts-Dore, au pied duquel sourd la Dordogne, et vers le sud, quelque cinquante kilomètres, à deux monts arasés presque à la même cote, le Puy-Mary et le Plomb-du-Cantal. Ces frères jumeaux sont séparés par une profonde coupure dont le col est occupé par la magnifique forêt du Lioran, où l'hôtel de la Compagnie d'Orléans constitue un centre bien connu de tourisme, de villégiature et de sports d'hiver. Cette coupure laisse couler vers l'est les eaux de l'Alagnon par delà la pittoresque ville de Murat jusqu'à l'Allier, cependant que vers l'ouest elle forme le lit de la Cère qui, après un long détour vers le sud, reprend sa direction primitive pour joindre la Dordogne vers la petite ville de Bretenoux.

Issue à 1,300 mètres d'altitude dans la forêt du Lioran, la Cère descend rapidement la vallée, suivie par la route nationale et le chemin de fer ; elle n'est plus qu'à 600 mètres, au bout d'une cinquantaine de kilomètres, au sud d'Aurillac, dont le nom d'origine latine est un rappel des gisements d'or exploités dans l'antiquité, causes probables de l'invasion des Romains conduits par Jules César, attirés — auri sacra fames — par la légende, par la vue des ornements d'or des Gaulois et poussés par l'avidité des hommes d'affaires de l'ancienne Rome.

Nos contemporains ne se sont pas préoccupés de la recherche du métal-roi, c'est pour de tout autres raisons que leur attention se fixa sur la Cère et pour un autre but qu'ils songèrent à utiliser ses eaux.

En effet, la Cère possède sur nombre de rivières coulant comme elle dans le Massif Central l'avantage de recevoir les eaux d'un bassin de 800 kilomètres carrés où les précipitations atmosphériques atteignent leur maximum de hauteur — en moyenne 1 mètres 350 d'eau par an — et de posséder à sa source la grande forêt du Lioran qui, retenant neiges et pluies, constitue pour elle une sorte de régulateur de débit. Mais du Lioran à Aurillac, le débit de la Cère est très faible, et ce n'est que dans la deuxième partie de son cours, encore une cinquantaine de kilomètres, qu'il est intéressant de capter ses eaux et de profiter des 300 mètres de hauteur qui les séparent de la Dordogne.

Entre le sud d'Aurillac et le confluent, plus exactement entre Laroquebrou et Laval-de-Cère, pendant 25 kilomètres, la rivière roule dans des gorges qu'elle a creusées à force de patience. Son cours est tortueux, sont lit étroit, les abords sont le plus souvent à pic. Aucun chemin n'y est tracé, pourquoi faire? Pourtant comme c'est là le seul et le plus court passage vers Aurillac, la voie ferrée, unique moyen offert par le P.-O. de visiter ces gorges, l'utilisa avec force tunnels coupant et recoupant les méandres de la rivière et les sinuosités des rives. Ainsi ont été reliés Figeac, Cahors, Montauban et les plaines de la Garonne à Aurillac, à Salers, pays d'élevage d'une race célèbre de bovins, et par un long tunnel sous le Lioran à Murat et à la vallée de l'Allier, entre Brioude et Issoire où circulent les trains du P.-L.-M. sur la ligne de Clermont-Ferrand à Nîmes.

C'est ce même passage que la Société hydroélectrique de la Cère a choisi pour y barrer deux fois la rivière et créer deux chutes de grande puissance par dérivations souterraines. L'emplacement du premier barrage se trouve en plein défilé, à quatre kilomètres de Laroquebrou. De là, part le tunnel de seize mètres carrés de section et 11,250 mètres de longueur, qui amène les eaux jusqu'aux environs du petit village de Lamativie, au seul point de passage d'un chemin reliant les deux rives. Là est édifiée l'usine génératrice d'électricité ; puissance installée 27,000 kilowatts, débit 27 mètres cubes d'eau sous 138 mètres de chute. Le second barrage est situé immédiatement à l'aval, et, par un tunnel de 6,900 mètres, les eaux rejoignent 1'usine de Laval-de-Cère ; puissance installée 22,500 kilowatts pour un débit total de 30 mètres cubes sous une chute de 110 mètres.

Cette utilisation en deux fois de la chute totale résulte de la décision de procéder à l’aménagement de la Cère par étapes successives, au fur et à mesure de l'augmentation des besoins en énergie électrique. Les frais supplémentaires pouvant résulter de cette division sont loin d'atteindre le total des charges financières nécessitées par les immobilisations de capitaux d'une usine trop puissante au début, et de ce fait longtemps improductive.

Telles quelles, ces puissantes installations dépendraient pour leur production d'énergie du débit de la rivière. Or, malgré la réserve humide du Lioran, celui-ci présente des variations considérables, avec un maximum en crue de 500 mètres cubes vers avril et un minimum de 5 mètres cubes seulement vers septembre. Les trois mois d'été sont pauvres en eau, et les usines d'utilisation seraient obligées de modifier leur activité dans la même mesure que le débit.

Le remède aujourd'hui classique a cette situation est la constitution de réserves d'eau en des lacs artificiels remplis par les eaux en excès durant les périodes humides, et vidés suivant les besoins pendant les périodes de sécheresse. Pour l'appliquer, l'Hydro-Électrique de la Cère a dû remonter le cours d'eau à huit kilomètres du premier barrage jusqu'aux environs de Saint-Étienne-Cantalès, à vingt kilomètres au sud-est d'Aurillac, en un point où la rivière coule à pente relativement faible entre des rives fortement évasées, sorte de plaine fermée à l'aval par un défilé, ensemble propice à l'établissement d'un lac artificiel.

En ce lieu, seront retenus plus de 100 millions de mètres cubes d'eau au moyen d'un barrage de 50 mètres de hauteur, dont la masse représentera 150,000 mètres cubes de maçonnerie. Cet ouvrage considérable permettra d'assurer la régularité du débit en été dans des conditions normales. À son pied, sera construite une usine (puissance installée 9,000 kilowatts), utilisant les eaux d'évacuation, et dont la production d'énergie, évidemment fonction de la hauteur de l'eau derrière le barrage, formera, malgré ce défaut, un appoint nullement négligeable.

Ces divers travaux s'exécutent dans une région dont la végétation, limitée aux pâtures à herbes ténues, peu touffues et aux seigles, laisse deviner l'absence de calcaire et la présence de roches granitiques, ici compactes et peu fissurées. Si de telles roches sont très dures et réclament l'action de la dynamite-gomme pour se laisser abattre, en revanche elles permettent d'appuyer sur elles des barrages et autres ouvrages en toute sécurité ; elles suppriment les soutènements coûteux, éliminent les venues d'eau, réduisent au minimum les revêtements des parois et assurent aux travaux une parfaite régularité, ce qui constitue bien un avantage.

Après achèvement de ces divers ouvrages, la capacité brute de production de la Cère atteindra 400 millions de kilowatts-heure dont 272 millions constants et seulement 128 millions intermittents. Pratiquement, en raison de la destination du courant, l'utilisation dépassera 300 millions de kilowatts-heure, soit plus de 75 % de la production totale.

Une partie du courant est utilisée sur place dam une usine sise à Laval-de-Cère même, mais appartenant aux aciéries de Firminy, dont les forges électriques absorbent 12,000 kilowatts pour la fabrication de ferro-alliages et de carbure de calcium.

D'ailleurs, au point de vue commercial, la Cère, de par sa situation géographique, se prête à de multiples combinaisons grâce aux lignes de transport. Ainsi vers le sud à 50 kilomètres la Cère alimente déjà l'usine de Viviez de la Compagnie de la Vieille-Montagne pour la fabrication du zinc électrolytique et elle se raccorde par Thuriez et Carmaux à la ligne de l'Union des producteurs des Pyrénées-Orientales fondée par la Compagnie des Chemins de fer du Midi, ligne qui relie toutes les usines des Pyrénées. Vers l'est le courant est destiné par Brommat sur la Truyère aux Aciéries de Firminy et à Saint-Étienne pour la Compagnie Loire et Centre, et par les lignes de cette société la Cère est reliée aux Alpes. Bordeaux à l'ouest peut devenir un client par les lignes d'Argentat et de Tuillière. Enfin, au nord, en passant par Maréges sur la Haute-Dordogne, centre de distribution du courant des usines de la Compagnie Paris-Orléans, l'énergie électrique de la Cère peut atteindre Éguzon dont le courant est utilisé déjà à Paris.

Cette position centrale à proximité de nombreux débouchés constitue une base solide pour l'Hydro-Électrique de la Cère. Par ailleurs cette société a acquis depuis peu le contrôle des Forces motrices de Gavarnie production — 130 millions de kilowatts-heure, puissance installée 33,000 kilowatts — qui possède en réserve plusieurs chutes à équiper. C'est ainsi que la Cère réalise pour la première fois entre usines hydrauliques dépendant d'une même direction la jonction Pyrénées-Massif Central. — B. F. ”

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