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VERS LA VICTOIRE... AVRIL 1918

LA RESTAURATION DES CHEMINS DE FER FRANÇAIS DEPUIS L’ARMISTICE

LES RUINES DE LA GRANDE GUERRE - LENS - LA GARE
INTÉRIEUR DE LA GARE DE FÉRE-CHAMPENOISE APRÈS LE BOMBARDEMENT
LIGNE PARIS-EST - GRETZ - LA FERTÉ-GAUCHER - ESTERNAY - SÉZANNE - FÈRE-CHAMPENOISE - SOMMESOUS - VITRY-LE-FRANÇOIS
FÈRE-CHAMPENOISE (51) • 48° 45' 39.0" N, 03° 58' 47.5" E

En 1927 le géographe Maurice Pardé (1893-1973) rédigeait une étude intitulée “ LA RESTAURATION DES CHEMINS DE FER FRANÇAIS DEPUIS L'ARMISTICE ”, préfacée par André Tardieu (1876-1945), ministre des Travaux publics (Gouvernement Raymond Poincaré du 23 juillet 1926 au 6 novembre1928), et publiée dans le Bulletin de la Société Scientifique du Dauphiné (éditée en 1928 par Gauthier-Villars).

Avant d'aborder l'immense effort de reconstruction, cette remarquable étude dressait un bilan exhaustif de la crise des chemins de fer au lendemain de l'Armistice dont des extrais figurent ci-après :

Cinq années d'efforts seront nécessaires pour retrouver la situation de ...1913.

Extraits de
LA RESTAURATION DES CHEMINS DE FER FRANÇAIS DEPUIS L’ARMISTICE
par Maurice Pardé (1)

...

FATIGUE DU MATÉRIEL FIXE. — Pendant toute la durée des hostilités, nos réseaux ont dû effectuer des transports intenses d’hommes et de matériel; ils se sont acquittés avec un succès à jamais mémorable de cette tâche vitale pour la nation, et l’on peut dire que l’utilisation extraordinairement habile et énergique de nos voies ferrées a compté parmi les principaux facteur de la victoire. Mais de cette épreuve, supportée avec tant d’honneur, nos chemins de fer sortent usés à un degré qu’on a peine à se rappeler sept années seulement après la crise. Les voies, soumises à un trafis accablant, ont été entretenues par des moyens de fortune. On n’a eu ni le temps, ni les moyens, ni le personnel voulus pour changer les rails et les traverses et renouveler le ballast. Sur maintes lignes, la circulation des trains les moins rapides est devenue dangereuse. Sur de longs secteurs des plus grandes artères, les vitesses supérieures à 90 km. à l’heure risquent de causer des catastrophes (i).

LES RÉGIONS DÉVASTÉES. — Ces dommages ne sont rien à côté de ceux qu’ont commis les Allemands dans les régions reconquises. Là, en novembre 1918, il n’y a plus de voies ferrées : rails enlevés, brisés ou tordus par des explosions de dynamite, traverses coupées, ponts et signaux anéantis, tunnels effondrés ; c’est un navrant spectacle de destruction complète. Quelques chiffres donneront une idée de l’ampleur du désastre : sur le Nord, 600 ponts, 760 bâtiments de gares, 1.568 maisons de garde ; sur l’Est, 935 km. de voie, 202 ponts en maçonnerie, dont 17 de 70 à 120 m., 162 ponts métalliques, 10 tunnels ont cessé d’exister.

Or, parmi les lignes ainsi radiées du système ferroviaire français, figurent certaines de nos plus indispensables artères de transport : Arras - Dunkerque, Paris - Lille à partir de Longueau, Paris - Maubeuge à partir de Ribécourt, Paris - Hirson à partir de Soissons, Paris - Charleville à partir de La Ferté-Milon, et de longs secteurs où la totalité des grandes transversales : Calais - Lille - Valenciennes - Aulnoye - Hirson - Charleville - Longuyon - Nancy, et Calais-Bâle par Amiens – Tergnier – Laon – Reims.

Il est vrai que, par un tour de force admirable, nos soldats du génie et le personnel des réseaux ont rétabli en quelques semaines des communications sommaires entre la partie non dévastée de la France et certaines villes des régions libérées : le premier train arrive à Lille le 27 octobre 1918, à Saint-Quentin le 28 novembre, à Douai, Valenciennes, Cambrai, en décembre. Mais pendant de longs mois, malgré la diligence fiévreuse, héroïque, des reconstructeurs, des lignes entières ne reviennent pas à la vie, et sur celles où quelques trains circulent, la lenteur et l’irrégularité des transports font pitié.

MATÉRIEL ROULANT. — Le matériel roulant a souffert terriblement du surmenage auquel il a été contraint depuis quatre ans. Depuis 1915 on n’a pas construit de locomotives ou de wagons nouveaux (ii) dans les ateliers français. Le matériel existant en juillet 1914 a été entretenu comme on a pu, c’est-à-dire très mal. Le pourcentage des machines immobilisées, de 8 % avant-guerre, est passé à 30 et 40 % (d’autres statistiques donnent 9,8 % pour 1913 et 20,5 % en août 1919). Les unités encore en service se trouvent à chaque instant arrêtées par des avaries. Sur un réseau, le nombre de locomotives en détresse pour fuites aux tubes et au foyer est passé de 120 en 1913 à 174 en 1918, et 125 pour les cinq premiers mois de 1919. À cette situation lamentable on n’a pu apporter que des remèdes tout à fait insuffisants. Le réseau d’Orléans a fait construire en Angleterre un certain nombre de machines ; d’autres, bien plus nombreuses, ont été fournies par les usines américaines, et leur secours est précieux en 1918 et en 1919. Mais le personnel n’est pas familiarisé avec leur maniement, les ateliers manquent des pièces nécessaires à leur réparation ; bientôt une foule de locomotives américaines détériorées et parfois victimes d’un dédain injustifié vont se rouiller dans nos dépôts encombrés.

Bien plus piteux encore est le sort des locomotives livrées par les Allemands à l’armistice (iii). On comptait sur ces nombreuses machines pour insuffler un regain d’activité à nos transports défaillants. Or, le matériel allemand lui-même est aussi fatigué que le nôtre. Bien entendu, on ne nous a pas cédé les unités les meilleures. Leurs dispositions, différentes de celles des locomotives françaises, et surtout leurs foyers en acier (iv), ont vite fait de dérouter nos mécaniciens et nos chauffeurs ; les pannes, les avaries de ces engins se multiplient, et, au milieu de 1919, la plupart, d’entre eux, mis au rancart, attendent une remise en état problématique et gisent, inerte ferraille, sur les voies de garage de nos grands centres ferroviaires. Bref, il nous faudrait au moins 14 à 15.000 locomotives en bon état. On dispose au plus de 10.000 unités susceptibles de services médiocres.

Le parc des voitures (v) ne vaut guère mieux. On a peine à former des trains avec un matériel dont les essieux ne chauffent pas en route et dont les attelages soient résistants ; la pluie entre par les toits disjoints, des milliers de vitres cassées attestent les brutalités inutiles commises par les voyageurs indisciplinés, durant quatre années de surveillance relâchée.

Notre effectif de wagons à marchandises, renforcé de 80.000 wagons américains ou autres et de 57.000 wagons allemands, paraît en surnombre. Mais le tiers de ces véhicules est inutilisable. Par dizaines de milliers, les wagons livrés par l’ennemi se rouillent ou se pourrissent, alignés en files interminables dans d’immenses cimetières.

...

INSUFFISANCE DU TRAFIC MARCHANDISES. — Tout d’abord, ils ne peuvent pas faire face au transport de marchandises appelées à circuler dans le pays, encore que la production et les échanges en cette période de troubles sociaux et de pénurie de matières premières restent bien inférieurs à ceux d’avant-guerre.

Le nombre de wagons chargés par jour, de 60.740 en 1913, tombe à 26.529 en décembre 1919. Certes le tonnage moyen par wagon en 1919 est de 13,4 t. contre 9 avant les hostilités. Même en tenant compte de ce fait, il ressort que le trafic marchandises en 1919 n’égale pas les deux tiers de celui de 1913 (90 millions de tonnes sur les cinq réseaux concédés contre 167).

Ces transports réduits s’effectuent avec lenteur et irrégularité. Le nombre de trains garés pour avaries, défaut de traction, encombrement des voies, etc., de quelques centaines par mois avant-guerre, s’élève à 3.126 en novembre 1919.

Une grande quantité de denrées attend des jours, des semaines le chargement et le départ ; beaucoup de matières périssables se gâtent. On se résout, pour décongestionner les voies les plus encombrées, à fermer au trafic petite vitesse de nombreuses gares et des lignes entières pour plusieurs jours. Inutile d’insister sur les conséquences funestes pour notre économie nationale d’un tel ralentissement des transports.

LA GRANDE PITIÉ DES SERVICES À VOYAGEURS . —La crise qui affecte le service des trains de voyageurs est moins dommageable par ses effets pour la reconstitution du pays, mais elle représente une décadence technique bien plus saisissante encore de nos chemins de fer.

Sur les grandes lignes, il existe encore en 1918 quelques trains relativement rapides. Mais leur petit nombre et la pénurie des convois sur les lignes secondaires rendent pitoyable le jeu des correspondances et allongent démesurément la durée des trajets. Un voyage transversal en France, dans des trains bondés qu’il faut attendre des heures à certaines gares, est devenu une épreuve pénible pour les nerfs. Lorsque l’armistice a été signé, le public s’imaginait que dans un cours délai, six mois ou un an au plus, on allait revenir à des horaires analogues à ceux d’avant-guerre. Certes, à la fin de l’hiver et au printemps 1919, les compagnies ont créé des trains nouveaux, des express en particulier, sur les grandes artères. On a rétabli deux trains de luxe : le Simplon-express prolongé sur Constantinople, par Zagreb et Belgrade, le Rome-express ; on a lancé un Bordeaux-Milan, un nouvel express Paris-Marseille et toute une série de trains sur les lignes sommairement réparées du Nord et de l’Est. Mais à la fin du printemps, les améliorations d’horaires s’espacent ; le service d’été, attendu avec impatience, donne aux voyageurs une grosse déception. Certes, de nouveaux express et rapides apparaissent à l’Orléans, l’État, le Nord et surtout le P.-L.-M. Le parcours journalier des trains de voyageurs, dans l’ensemble de la France, dépasse de 70 % les chiffres de 1918. Mais il reste encore inférieur de plus de moitié aux parcours d’avant-guerre.

Sur maintes voies secondaires, il a paru impossible de lancer plus d’un omnibus par jour là où il en circulait trois ou quatre en juillet 1914. Bien heureux les usagers des petites lignes qui disposent de deux paires de trains journaliers. De Paris à Marseille, une des lignes les mieux desservies, on a dans chaque ses, 3 express et 2 rapides, contre 4 express et 4 rapides avant-guerre. De Paris à Vallorbe, à Genève et à Modane, il n’existe plus qu’un rapide dans chaque sens et on n’a pas rétabli les services de jour. De Tarascon à Cette, on compte 3 paires d’express au lieu de 7 ou 8, de Grenoble à Lyon, 1 au lieu de 2. De Paris à Londres par le réseau du Nord, il n’y a qu’un train journalier au lieu de 6, de Paris à Mulhouse que 2 au lieu de 5. On ne sait quand on pourra remettre en marche des express sur les lignes Nancy-Charleville, Lille-Calais, Lille-Hirson, Nancy-Dijon par Neufchâteau, Laon – Is-sur-Tille – Dijon, Grenoble-Valence, Chagny-Nevers, Angoulême-Limoges, Tours-Le Mans, Saint-Just-Cambrai.

LA VITESSE LAMENTABLE DES TRAINS D’APRÈS-GUERRE . — Ces trains, de nombre si restreint, cheminent avec une lenteur qui contraste avec leur marche d’avant-guerre, les plus rapide du monde. Les chiffres du tableau I donneront une idée de cette décadence.

Dans l’ensemble, les vitesses commerciales sur longs parcours sont tombées de 70 à 90 km. avant-guerre à 50, 60, 65 km. au plus un an et un an et demi après la fin des hostilités.

Ces pauvres express respecteront-ils au moins leurs horaires ? Il s’en faut de beaucoup. Des retards considérables viennent à chaque instant perturber les services. L’exactitude des trains devient l’exception. Dans lignes à fortes déclivités surtout, les pannes ne se comptent plus. Quel barde de cette triste époque chantera le martyre des voyageurs du Lyon-Nantes et du Bordeaux-Milan, tant de fois arrêtés pour des heures sur les rampes qui, de Tarare ou d’Amplepuis, conduisent au tunnel des Sauvages ! Les formidables Pacifics du P.-L.-M., dont les exploits naguère émerveillaient le monde ferroviaire européen, arrivent tout essoufflées et se traînant à peine au sommet de la rampe de Blaisy, où elles surgissaient toutes fringantes à 60 et 65 à l’heure avec leurs trains ee 350 et 400 tonnes. Les 3100, jadis l’orgueil de la Compagnie de l’Est, ces superbes dévoreuses de retards, satisfont avec difficulté aux moyennes de 65 qu’on leur impose entre Paris et Chaumont. Pour l’ensemble des réseaux, au début de 1920, la proportion des express en retard de plus de 15 minutes dépasse 48 %.

...

Pont de chemin de fer de Verberie (Oise)
Pont de chemin de fer de Verberie (Oise)
 
 
(i)
La vitesse maxima permise sur les grandes lignes françaises est de 120 km. à l'heure. La vitesse de 90 à l'heure est nécessaire en maints secteurs à tout express ou rapide tracé à 65 ou 70 de moyenne.
 
 
(ii)
L'exécution de plusieurs commandes importantes a été cependant poursuivie au début des hostilités, mais bientôt arrêtée par les exigences de la défense nationale. Par exemple, les Ateliers et Chantiers de la Loire, à Nantes, n'ont livré au P.-L.-M. que 25 sur 40 Pacifics du type 6200 (231-C), commandées en 1914. En 1915, ils dont dû se consacrer entièrement aux fabrications de guerre.
 
 
(iii)
L'Allemagne a livré aux Alliés 5.000 locomotives et 150.000 wagons ; là-dessus, la France a reçu 1.969 machines et 57.871 wagons.
 
 
(iv)
Les chemins de fer allemands utilisent normalement des foyers en cuivre. C'est pour économiser ce métal qu'ils ont construit pendant la guerre des foyers en acier.
 
 
(v)
En style ferroviaire, on appelle voitures les véhicules réservés aux voyageurs, et wagons ceux qui servent au transport des marchandises.
Tableau I
Durée d'un trajet pour les trains les plus rapides.
 
LIGNES Octobre 1913 (*)   Après-guerre (**)
Paris-Boulogne 2 h. 50   4 h. 00 en octobre 1919.
Paris-Lille 2 h. 54   4 h. 35 id.
Paris-Saint-Quentin 1 h. 33   2 h. 30 id.
Paris-Bruxelles 3 h. 55   5 h. 36 en août 1920 (7 h. en 1919).
Paris-Longuyon 5 h. 04   7 h. 27 en août 1920.
Paris-Nancy 4 h. 15   6 h. 22 en octobre 1919.
Pris-Belfort 5 h. 17   7 h. 23 id.
Paris-Modane 9 h. 55   12 h. 35 en août 1920.
Paris-Marseille 10 h. 25   13 h. 40 en août 1920 (12 h. 45 de juillet à décembre 1919).
Paris-Saint-Étienne 7 h. 58   8 h. 51 en août 1920.
Paris (Austerlitz)-Toulouse 10 h. 46   12 h. 08 en octobre 1919.
Paris (Austerlitz)-Bordeaux 6 h. 43   9 h. 13 id.
Bordeaux-Cette 6 h. 44   9 h. 38 en février 1919.
Paris-Brest 10 h. 17   11 h. 52 en août 1920.
Paris-Le Havre 2 h. 54   3 h. 24 id.
 
(*) En juillet 1914, certains trains français avaient été encore accélérés, en particulier de Paris au Havre et à Brest, de Saint-Étienne à Paris.
(**) Nous n'avons pas retrouvé les horaires de 1919 pour tous les réseaux ; les horaires d'août 1920 cités ici pour beaucoup de lignes représentent, dans la plupart des cas, une émélioration sur les marches de 1919.
 

> Lu dans “ Le Temps ” du mercredi 25 décembre 1918 (*)

“ DU RÔLE MILITAIRE DES CHEMINS DE FER ”
par le Général de Lacroix

Suite de l'article du 18 décembre 1918

“ Au moment de l'offensive allemande en Belgique, le mouvement débordant de l'ennemi amena un regroupement de nos forces, à gauche de leurs emplacements de concentration. Il en résulta de nombreux transports de troupes, qui furent rapidement exécutés. Ce fut le commencement des transports stratégiques improvisés, qui devaient se reproduire aux diverses phases de la campagne.

Le mouvement de retraite des forces franco-britanniques, après la bataille de Charleroi, amena de sérieuses complications dans le service des chemins de fer, qui dut faire face à cette nouvelle difficulté. Sur chaque ligne, un nombre de convois quotidiens, variant de 120 à 170 trains, débarrassa rapidement la zone arrière et facilita grandement nos mouvements de repli, maigre la présence immédiate de l'ennemi, en face de nos arrière-gardes.

Lorsque le maréchal Joffre eut décidé le renforcement de notre aile gauche, en vue du retour offensif de la Marne, les chemins de fer durent transporter promptement des forces considérables, soit la valeur de trois corps d'armée, de l'est sur Paris. Les trains militaires, répondant à ce nouveau besoin, empruntèrent en grande partie les itinéraires Verdun, Sainte-Menehould, Bar-le-Duc, Châlons et Neufchâteau-Chaumont, Troyes, Nogent-sur-Seine. Ils furent ensuite dirigés vers le Raincy et Nanteuil-le-Haudouin. Ces renforts, amenés en temps utile, purent rejoindre l'armée de Paris et l'armée anglaise et tomber avec la 6e armée sur le flanc gauche de l'adversaire. À ce moment, le rendement de nos voies ferrées atteignit jusqu'à 70 trains en arrière du front à renforcer.

Pendant la période qui a suivi notre victoire de la Marne et qu'on a appelée la course à la mer, les réseaux français eurent à lutter de vitesse sur l'ennemi, qui bénéficiait pour ses transports de guerre de l'avantage du raccourci de la ligne intérieure.

Sur des parcours variant de 65 à 400 kilomètres, nos chemins de fer eurent à transporter, au moyen de plus de 6.000 trains, près de 70 divisions, c'est-à-dire plus de 800.000 hommes. La marche régulière et la vitesse de ces transports ont amené à pied d’œuvre les forces britanniques ou françaises, dont la valeur a enrayé la marche des Allemands sur Calais.

Plus tard, en février 1916, l'offensive allemande contre Verdun provoqua encore de nombreux déplacements de troupes et l'organisation d'importants convois de renfort. En quelques heures, les wagons chargés de marchandises furent libérés pour former de nombreux trains de troupes et de matériel, qui furent amenés aux points d'embarquement ou de débarquement dans le voisinage et souvent même sous le feu de l'ennemi. Cette tâche écrasante et dangereuse fut menée à bien, tout en évitant des à-coups et des encombrements dans les gares et sur les voies de circulation, cependant surchargées par les transports normaux.

La même intensité de mouvement par voies ferrées devait se reproduire au moment du débarquement des troupes américaines, lors de l'envoi de forces franco-britanniques de France en Italie, et enfin au printemps de 1918, à la suite des offensives allemandes vers l’Oise, la Somme, l'Yser et la Marne.

Le président Wilson signait le 6 avril 1917 la résolution de guerre, votée par le Congrès des États-Unis. Dans le milieu de l'année, les débarquements de troupes américaines en France commençaient. Ces troupes devaient être réparties sur différents points de notre territoire, dans les camps d'entraînement. Dans le deuxième semestre de 1917, la Compagnie d'Orléans assurait à Saint-Nazaire l‘embarquement en chemin de fer de 12.000 officiers, 46.000 hommes, 22.000 chevaux, 200 voitures et 2.500 tonnes de matériel. Le 27 octobre 1917, un premier communiqué du général Pershing annonçait que quelques bataillons américains occupaient les tranchées de première ligne d'un secteur calme, en liaison, avec les bataillons français. « Nos troupes, disait le général, sont appuyées par quelques-unes de nos batteries, en commun avec les batteries françaises. ».Tel fut, le commencement de l’intervention américaine.

On sait le développement intense donné par nos alliés à leurs débarquements, à leur organisation et à la préparation à la guerre de leurs armées de combat, à la fin de 1917 et pendant l'année 1018. Ils trouvèrent le concours le plus dévoué de la part de notre, service des chemins de fer, dont les trains se multiplièrent, au fur et à mesure des besoins, jusqu'à ce que l'organisation du service des armées américaines eût atteint tout son développement.

Notre intervention en Italie, au moment de l'offensive austro-allemande, donna à la Compagnie P.-L.-M. l'occasion de développer un magistral effort, qui peut être cité comme un exemple de la souplesse et de la puissance de nos lignes de chemins de fer, de leur personnel et de la direction de nos réseaux. Le 23 octobre 1917, le jour même de l'attaque allemande au sud de Plezzo, le P.-L.-M. était invité, par l'autorité militaire, à réunir en vingt-quatre heures le matériel et le personnel nécessaires pour transporter d'urgence au delà des Alpes 120.000 hommes de troupes britanniques et françaises, avec artillerie et matériel de guerre. Et ce prodige fut accompli.

Moins de deux heures après la réception de l'ordre donné par le comité de guerre, 500 locomotives et 12.000 wagons partaient de tous les points du réseau vers la zone d'embarquement. Vingt-quatre heures après, les trains formés étaient prêts à assurer le service ordonné.

Le 28, les 12.000 wagons furent mis en marche, et sans arrêt, firent pendant quatre jours la navette entre le front français et le front du Trentin. Le 8 novembre, les Italiens avaient achevé leur repli sur la Piave et s'y arrêtaient, avec le concours, assuré, des forces franco-britanniques.

Quand le transport des troupes et du matériel fut terminé, le P.-L.-M. eut encore à pourvoir au ravitaillement en munitions et en vivres. Il lui fallut près de 200 locomotives et environ 5.000 wagons pour y satisfaire.

Les offensives allemandes qui se sont succédé à partir du 21 mars 1918 ont eu des conséquences formidables pour les transports par chemins de fer. Des lignes entières devinrent inutilisables, notamment celles d'Amiens à Arras, de Paris à Amiens par Creil, puis de Paris à Châlons par Château-Thierry. La situation, difficile des voies ferrées à cette époque a été exposée par M. Claveille, le 17 septembre 1918, à la Chambre des députés.

Les événements militaires ont eu pour conséquence de nous priver d'artères essentielles, ayant les meilleurs profils et permettant les transports les plus faciles. En outre, ils nous ont obligés à faire des évacuations non seulement pour les parcs d'approvisionnement, mais encore pour les gares régulatrices, les stations-magasins, les usines de toute nature dans les régions menacées. Parmi ces évacuations, quelques-unes furent aussi importantes que difficiles. Il y avait à Amiens et à Épernay, par exemple, de grands ateliers, appartenant aux réseaux du Nord et de l'Est, qui sont aujourd'hui partiellement détruits. Nous avons pris la précaution de déménager – le mot n'est pas trop fort – tout ce qu'ils contenaient. Nous avons aussi transporté des milliers de wagons de machines-outils, de matériel... Cette situation a heureusement pris fin, ou plutôt elle a changé de face, grâce à la vaillance de nos soldats et de leurs chefs incomparables ; toutefois, sans rien enlever du mérite de nos poilus, ni revendiquer quoi que ce soit pour les chemins de fer, je puis dire que si les opérations que nous apprenons avec tant d'émotion et de joie, par les communiqués, sont conduites si brillamment et si heureusement, les efforts considérables des chemins de fer n'y sont pas étrangers.

C'est la vérité.

En effet, toutes les difficultés pratiques, auxquelles faisait allusion M. Claveille, survenaient au moment où, pour enrayer à tout prix l'avance de l'ennemi, le haut commandement réclamait des transports de troupes considérables, nécessités par la nature et l'importance des opérations. Ces deux tâches ont été vaillamment remplies par le service des chemins de fer. Rien ne démontre mieux d'importance des lignes de communication par voies ferrées et la nécessité de les couvrir à grande distance. L'offensive commencée le 18 juillet par le maréchal Foch nous a rendu, ainsi qu'aux chemins de fer, la liberté de manœuvre qui nous avait été momentanément enlevée, et elle nous a menés au triomphe définitif en quelques mois. ”

3ème Partie : Article du dimanche 5 janvier 1919

AVRIL 1918
mercredi 3 Le général Foch prend la direction stratégique des opérations militaires.
jeudi 4 Les Allemands attaquent des deux côtés de l'Avre. Attaque allemande sans résultat vers Villers-Bretonneux-Amiens.
samedi 6 au mardi 9 Au sud de l'Oise, les Allemands se rendent maîtres d'Amigny, de Barisis, de Pierremonde, de Follembray et de Coucy-le-Château.
mardi 9
  • La ligne de front se stabilise derrière l'Ailette.
  • Bataille d'Armentières ou de la Lys : attaque de la 6e armée allemande contre les Portugais et les Anglais sur la Lys (secteur d''Armentières).
  • Les troupes du kaiser arrivent jusqu'au mont Kemmel.
mercredi 10 au lundi 29 Attaque de la 4e armée allemande sur la ligne des monts de Flandre (abandon du saillant d'Ypres, prise de Neuve-Église, Meterem, le mont Kemmel et Locre).
dimanche 14 Foch nommé général en chef des Armées alliées.
dimanche 21 Mort de l'aviateur allemand, Manfred von Richthofen, surnommé le Baron Rouge.
mardi 23 La flotte anglaise embouteille Zeebrugge port capital pour la marine impériale allemande.
mercredi 24 les Allemands attaquent dans la direction d'Amiens et reprennent la bataille de la Lys qui dure jusqu'à la fin du mois d'avril.
jeudi 25 Reprise de Villers-Bretonneux par les troupes anglo-saxonnes (Australiens), aidées des troupes françaises.
dimanche 28 Mort en prison de Gavrilo Princip assassin, le 28 juin 1914, de l’archiduc François-Ferdinand.
mardi 30 Arrêt de l'attaque par la 4e armée allemande par l'afflux de 17 divisions françaises (IIe et Xe armée).
RÉFÉRENCES