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LES CHEMINS DE FER À PARIS - LA GARE DE L'OUEST (RIVE DROITE) EN 1868 PAR MAXIME DU CAMP - PARTIE XI / XI

 

Voiture de 1ère Classe. Reconstitution de la Rame de Saint Germain de 1837 conservée par l'AJECTA
Voiture de 1ère Classe. Reconstitution de la Rame de Saint Germain de 1837 conservée par l'AJECTA

“ Un crime, celui de M. Poinsot sous les coups de l'insaisissable Jude, a causé aussi une profonde émotion. Tout de suite on a réclamé pour les voyageurs le droit de pouvoir au besoin faire arrêter le convoi. Cela est absolument inadmissible. Il ne faut jamais accorder à une seule personne, fût-elle en danger de mort, le privilège exorbitant de mettre en péril, et en péril très grave, toutes les personnes qui font partie d'un train. En effet, sur les voies, les trains se suivent à intervalle souvent très rapprochés ; réglementairement dix minutes au moins doivent les séparer les uns des autres, mais il suffit parfois d'un léger ralentissement d'une part et d'une faible accélération de l'autre pour que l'équilibre de la distance soit rompu. Dans ces circonstances, si le premier convoi s'arrête, il a de grandes chances pour être rattrapé par celui qui le suit et pour recevoir ce que l'on appelle un coup de tampon, c'est-à-dire pour être brisé par un choc irrésistible. Confier un tel pouvoir avec toutes les conséquences qu'il entraîne à chaque voyageur, c'est centupler immédiatement la somme des accidens qu'on enregistre chaque année. Il faut trouver un moyen pratique de mettre les voyageurs en rapport direct et facile avec les conducteurs, établir entre les compartimens des voitures une communication, soit par une ouverture, soit à l'aide d'une glace sans tain ; mais il faut surtout réfléchir que, pendant une période de trente années, il ne s'est commis qu'un seul crime dans un wagon en marche, qu'on assassine partout, dans les maisons, dans les rues , sur les promenades publiques, dans les théâtres, et qu'il ne faut jamais conclure de l'exception à la généralité.

Ce qu'on est en droit d'exiger des compagnies, c'est qu'au fur et à mesure qu'elles renouvellent leur matériel roulant, elles lui donnent les qualités de comfortable et de bien-être qui manquent encore sur beaucoup de lignes, et dont cependant les rail-ways étrangers nous offrent l'exemple depuis longtemps. On peut leur demander aussi que la complaisance des employés pour les voyageurs n'aille pas jusqu'à permettre à ces derniers d'introduire dans les wagons des paniers, des malles, qui sont une cause permanente de gêne pour tout le monde et occupent au moins la place d'une personne. Le fourgon des bagages est fait pour ces sortes de colis, et c'est un insupportable abus que d'en laisser encombrer les voitures. Il est certain que l'avenir modifiera singulièrement le matériel des voies ferrées et lui donnera des facilités qu'on ne prévoit pas encore. Les voyages gagneront en rapidité et en agrément, lorsque l'on pourra circuler sans péril d'un wagon à un autre, et qu'un restaurant sera attaché à tout convoi devant parcourir une certaine distance. L'Allemagne tente aujourd'hui cette dernière expérience ; nous saurons donc bientôt si elle peut définitivement entrer dans l'exploitation.

Les tarifs pourront être abaissés, et les chemins de fer subiront sans doute un jour une réforme analogue à celle qui a atteint et enrichi l'administration des postes. En cette matière fort délicate à traiter en France, car elle touche aux intérêts financiers de tout le monde, l'exemple vient d'être donné par le gouvernement belge, qui le pouvait sous sa propre responsabilité, puisque là les chemins de fer ont été construits par l'état. La différence qui existe, depuis la loi votée à Bruxelles le 1er mai 1866, entre le tarif belge et le tarif français est considérable, et sera vite expliqué par un exemple : Paris est séparé d'Orléans par une distance de 121 kilomètres, le prix des places est de 13 fr. 55 c. pour les premières, 10 fr. 15 c. pour les secondes et 7 fr. 45 c. pour les troisièmes. — Entre Bruxelles et Ostende, il y a 124 kilomètres ; les premières coûtent 5 francs, les secondes 3 fr. 50 c., les troisièmes 2 fr. 50 c. — Si nos compagnies adoptaient une réforme aussi radicale, on irait de Paris à Marseille pour 20 francs, et l'on rendrait à la population peu aisée, c'est-à-dire à la majeure partie de la population, un service inexprimable. Nous verrons peut-être un tel fait se produire, mais tant d'intérêts légitimes et sérieux sont engagés au maintien de l'ordre des choses actuel que nous attendrons longtemps encore avant de voir les chemins de fer français s'engager, à leurs risques et périls dans une voie si hardie. Du reste, l'expérience tentée en Belgique semble ne pas donner de bons résultats, et il ne serait pas surprenant qu'on en revînt purement et simplement aux anciens tarifs.

Cette étude ne serait pas complète, si, avant de terminer, je ne disais un mot d'essais très sérieux qui se font en ce moment même, et dont le but est de prouver que la traction mécanique est possible sur les routes ordinaires. Dès le début des machines à vapeur, on se le rappelle, tous les efforts des inventeurs avaient porté sur ce point, et c'est en désespoir de cause que les rails avaient été adoptés. Depuis l'inauguration du premier chemin de fer anglais, bien des tentatives ont échoué devant les difficultés très graves que le terrain irrégulier des chemins de terre offre aux machines. Je me souviens parfaitement d'avoir vu, il y a quelques années, une lourde locomotive portant des voyageurs marcher péniblement sur les quais de Billy et de la Conférence. Depuis la dernière exposition universelle, qui, par la seule introduction de l'acier fondu dans la pratique industrielle, apportera tant d'heureuses modifications aux voies ferrées, le problème semble résolu. On y a vu figurer une locomotive qui, remorquant des wagons chargés de personnes et de marchandises, manœuvrait avec facilité sur toute espèce de route à une vitesse moyenne de 12 kilomètres par heure, vitesse qui peut être portée jusqu'à 20 sur les terrains exceptionnellement favorables. Une expérience qui paraît décisive a eu lieu entre Marseille et Aix. La distance, — 30 kilomètres, — a été plusieurs fois franchie en quatre heures sur une route qui est sous plusieurs rapports, par ses pentes rapides, par une de ses portions couverte de pavés, par ses courbes subites, un modèle de difficultés à surmonter. Une compagnie générale de messagerie à vapeur s'est formée, a son siège à Marseille et fonctionne dès à présent. De nouveaux essais faits au bois de Boulogne ont parfaitement réussi, et ont engagé le gouvernement à concéder une ligne d'expérimentation longue de 5 kilomètres, qui doit relier le Raincy à Montfermeil.

Si, comme tout le fait supposer, ce moyen de traction est assuré, il sera d'une utilité précieuse pour nos populations agricoles, et desservira les nombreux chemins locaux que le langage administratif appelle voies de petite vicinalité. En un mot, ces messageries à vapeur seront un puissant auxiliaire pour les chemins de fer, car ils remplaceront les troisième et quatrième réseaux de voies ferrées, qu'on ne peut établir en raison des pertes certaines que la construction et l'exploitation feraient subir aux capitaux engagés. Les convois restreints remorqués par des locomotives routières, visitant les groupes plus chétifs d'habitation, seraient pour les transports ce que les facteurs ruraux sont pour la distribution des dépêches. Il est à désirer que l'expérience s'affirme et donne raison aux prévisions de l'inventeur, car alors, avec ses grandes lignes de chemins de fer, avec les voies adjacentes du second réseau, avec la traction vapeur sur les routes, la France sera sur tous les points en communication rapide et permanente avec elle-même. ”

Voiture de 1ère Classe • Reconstitution de la Rame de Saint Germain de 1837 conservée par l'AJECTA
Voiture de 3ème Classe
Reconstitution de la Rame de Saint Germain de 1837
conservée par l'AJECTA
 
[*]
 
Voiture à vapeur, 1836 (d'après Besnard) [*]
 
Locomotive routière à voyageurs [**]
RÉFÉRENCES