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LES CHEMINS DE FER À PARIS - LA GARE DE L'OUEST (RIVE DROITE) EN 1868 PAR MAXIME DU CAMP - PARTIE X / XI

 

LA CATASTROPHE DE MEUDON SUR LE CHEMIN DE FER DE VERSAILLES RIVE GAUCHE, LE 8 MAI 1842,  À L'ORIGINE DU POÈME D'ALFRED DE VIGNY
 
LA CATASTROPHE DE MEUDON SUR LE CHEMIN DE FER DE VERSAILLES RIVE GAUCHE, LE 8 MAI 1842 PAR HENRI DANIEL PLATTEL (1803-1859) [*]
À L'ORIGINE DU POÈME D'ALFRED DE VIGNY

Alfred DE VIGNY (1797-1863), Les Destinées.

Sur ce taureau de fer qui fume, souffle et beugle,
L'homme a monté trop tôt. Nul ne connaît encor
Quels orages en lui porte ce rude aveugle,
Et le gai voyageur lui livre son trésor ;
Son vieux père et ses fils, il les jette en otage
Dans le ventre brûlant du taureau de Carthage,
Qui les rejette en cendre aux pieds du dieu de l'or.

Mais il faut triompher du temps et de l'espace,
Arriver ou mourir. Les marchands sont jaloux.
L'or pleut sous les charbons de la vapeur qui passe,
Le moment et le but sont l'univers pour nous.
Tous se sont dit: " Allons ! " mais aucun n'est le maître
Du dragon mugissant qu'un savant a fait naître ;
Nous nous sommes joués à plus fort que nous tous.

Évitons ces chemins. - Leur voyage est sans grâces,
Puisqu'il est aussi prompt, sur ses lignes de fer,
Que la flèche lancée à travers les espaces
Qui va de l'arc au but en faisant siffler l'air.
Ainsi jetée au loin, l'humaine créature
Ne respire et ne voit, dans toute la nature,
Qu'un brouillard étouffant que traverse un éclair.

On n'entendra jamais piaffer sur une route
Le pied vif du cheval sur les pavés en feu :
Adieu, voyages lents, bruits lointains qu'on écoute,
Le rire du passant, les retards de l'essieu,
Les détours imprévus des pentes variées,
Un ami rencontré, les heures oubliées,
L'espoir d'arriver tard dans un sauvage lieu.

La distance et le temps sont vaincus. La science
Trace autour de la terre un chemin triste et droit.
Le Monde est rétréci par notre expérience,
Et l'équateur n'est plus qu'un anneau trop étroit.
Plus de hasard. Chacun glissera sur sa ligne,
Immobile au seul rang que le départ assigne,
Plongé dans un calcul silencieux et froid. ”

“ Quant aux accidens, c'est moins la fréquence que la gravité, parfois excessive, qu'ils présentent, qui met la population en rumeur et jette dans son esprit un trouble que traduisent les exigences les plus folles. Le premier désastre, c'en fut un, qui vint épouvanter le public eut lieu un dimanche, le 8 mai 1842, sur le chemin de fer de Paris à Versailles (rive gauche). C'était un jour de grandes eaux ; dix-huit wagons pleins revenaient à Paris remorqués par deux locomotives et poussés par une troisième placée à l'arrière. Un peu au-dessous de Bellevue, à un endroit où la voie est en déblai, la première locomotive, qui s'appelait la Matthieu-Murray, brisa net les deux extrémités de son essieu à l'endroit où il s'encastre dans les moyeux. A cette époque, les locomotives n'avaient que quatre roues. La seconde locomotive, brusquement arrêtée dans son élan, versa sur la première, et la tête du train s'arrêta. La dernière locomotive, continuant forcément à pousser le convoi en avant, le plia en hauteur et le renversa sur lui-même. Par un surcroît de précautions insensé, dont j'ai parlé plus haut, les portières étaient fermées à clé. Les wagons, culbutés sur les locomotives, dont le foyer brisé avait répandu les charbons ardens, prirent feu presque immédiatement, et l'on eut alors un spectacle indicible. Les voyageurs prisonniers se précipitaient à l'étroite ouverture des portières, luttaient, s'étranglaient, brûlaient. Soixante-treize cadavres furent retrouvés ; je ne compte pas les blessés. Eux qui sont contemporains de cet accident, n'ont point oublié l'effroi dont Paris et la France entière furent saisis. Les recettes des chemins de fer baissèrent immédiatement ; la ligne de la rive gauche fut littéralement abandonnée, et il fallut bien longtemps pour refaire une éducation qui commençait à peine. L'épouvante fut telle, on envisageait les locomotives comme des instrumens si particulièrement dangereux, si difficilement gouvernables, qu'il fut très sérieusement question, pour les chemins de fer de Paris à Rouen et de Paris à Orléans, qui devaient être prochainement inaugurés, de remplacer la traction mécanique par des attelages à chevaux. Cette terreur se calma peu à peu, et les chiffres que j'ai cités prouvent que le public, plus sage, s'est accoutumé aux voies ferrées et s'est familiarisé avec ce genre de locomotion. Il peut paraître paradoxal de soutenir que les diligences étaient un moyen de transport plus périlleux que les chemins de fer ; rien cependant n'est plus vrai. De 1846 à 1855, les diligences ont donné 1 tué sur 355,463 voyageurs, et 1 blessé sur 29,871 ; de 1837 à 1855, c'est-à-dire dans une période double, les chemins de fer donnent 1 tué sur 1,955,555 voyageurs et 1 blessé sur 496,551. La différence est notable, et mérite d'autant plus d'être remarquée qu'elle est prise dans l'époque la plus défavorable de l'exploitation des rail-ways, dans l'époque des essais, des tâtonnements, des écoles, dans l'époque qui a vu se produire l'accident de Bellevue, dont je viens de parler, et celui de Fampoux, qui coûta la vie à quatorze personnes. La proportion est de plus en plus rassurante ; en effet l'Exposé de la situation de l'empire de 1866 constate que dans l'année précédente, sur 71 millions de voyageurs, 5 seulement ont péri par suite d'accidens ; c'est moins d'un pour 15 millions (1).

Le malheur arrivé à Bellevue a été du moins une leçon effrayante dont on a profité. Les locomotives ont aujourd'hui six roues au moins, et à chaque station où il y a un arrêt de cinq minutes et plus, un employé spécial frappe les essieux de la locomotive et de tous les wagons pour s'assurer qu'ils sont en bon état. Si l'un d'eux sonne faux et indique une simple fêlure, la voiture dont il fait partie est immédiatement retirée du train, remplacée par une autre et envoyée au dépôt pour être réparée. Chaque jour, depuis cette époque déjà lointaine, a consacré un progrès dans l'art de construire les machines, et chaque jour a amené des améliorations dont on s'est hâté de profiter. Les mécaniciens, chauffeurs, conducteurs, aiguilleurs, ont une expérience et une éducation pratique qu'ils n'avaient pas autrefois. Les mécaniciens sont à la fois très hardis et très prudens ; ainsi qu'ils se disent eux-mêmes, «ils y vont pour leur peau,» et ils sont toujours les premières victimes de ces désastres. A quoi tient un accident ? A bien peu de choses souvent. M. Pilincki, mécanicien du chemin de fer du Nord, conduisait un train express ; à une courbe aux environs de Creil, il aperçoit en travers de la voie un fardier chargé de pierres de taille abandonné par le charretier, qui, s'étant engagé sur le passage à niveau, n'avait point eu le temps de dégager la route avant l'arrivée du convoi. Le mécanicien siffla d'abord aux freins pour modérer sa vitesse et rendre le choc moins redoutable ; il comprit immédiatement que la précaution était illusoire et entraînait à un déraillement certain. Il siffla de lâcher tout, donna à sa machine la plus grande force d'impulsion qu'elle pouvait supporter et attendit le choc. La voiture fut enlevée et dispersée de chaque côté de la voie sans même que les voyageurs se fussent aperçus de l'accident. La locomotive, visitée en gare de Creil, portait à peine la trace du coup de bélier qu'elle venait de donner. M. Pilincki fut, pour ce trait de courage, immédiatement nommé mécanicien de première classe. C'est fort bien ; mais si, au lieu de couper le fardier, la locomotive l'avait simplement fait pivoter, il tombait sous les roues du convoi ; si le fardier avait été arc-bouté, il y avait déraillement, chute des wagons les uns par-dessus les autres, blessures, morts, procès, et le mécanicien qui a sauvé son train en accélérant sa marche aurait été condamné pour ne pas l'avoir ralentie. ”

(1) Voici une statistique instructive, car elle est empruntée aux Américains, qui, on le sait, ne pêchent pas par excès de prudence dans l'exploitation de leurs voies ferrées. Pendant les années 1863, 1864, 1865 et 1866, la circulation sur les chemins de fer a été de 400 millions de voyageurs ; sur ce nombre, on compte, tués par accident que le voyageur ne pouvait éviter, 1 sur 4,999,285 ; tués par imprudence personnelle, 1 sur 4,304,888 ; blessés par accident que le voyageur ne pouvait éviter, 1 sur 319,948 ; blessés par imprudence personnelle, 1 sur 634,817.

(Amélioration de la race humaine
par les chemins de fer) [**]
Accident de Saujon du 14 août 1910
“ Ce que l'on peut affirmer, c'est que toutes les précautions possibles sont prises par les compagnies. Sans compter les rapides dépêches du télégraphe électrique, qui renseigne toujours au besoin sur l'état de la voie, des réglemens précis et spéciaux imposent des prescriptions auxquelles les agens ne peuvent se soustraire sans encourir des amendes, l'expulsion et, si le cas est grave, le renvoi devant les tribunaux. Lorsqu'une voie est obstruée, le mécanicien en marche est immédiatement prévenu par une série de signaux très définis et auxquels il ne peut se méprendre. Si un train tombe inopinément en détresse, le conducteur doit immédiatement faire couvrir la voie à une distance déterminée par des drapeaux pendant le jour, par des boîtes détonantes et des lanternes pendant la nuit ; le convoi qui arrive s'arrête alors, fait les mêmes dispositions, qui sont répétées par les trains suivans, et une ligne est souvent fermée sur une étendue considérable, parce qu'un accident est survenu à un point donné de la voie. Des gens fort bien intentionnés sans doute, mais fort peu au courant des lois de la mécanique, ont demandé avec insistance qu'on trouvât un moyen de donner au mécanicien la possibilité d'arrêter subitement un train dans le cas où l'on s'apercevrait que la voie n'est pas libre. En admettant, ce qui est douteux, qu'on pût découvrir un frein assez puissant pour immobiliser tout à coup un convoi lancé, on amènerait infailliblement un déraillement immédiat, et devant la locomotive ainsi arrêtée tous les wagons se renverseraient en montant les uns sur les autres. Chaque train roulant à sa vitesse normale contient une somme de mouvement déterminée ; si l'on passe subitement à l'état de repos, ce mouvement ne cesse pas, il se brise, et produit alors des effets désastreux, semblables à ceux qui résulteraient du choc le plus violent. Il faut au moins agir pendant 200 mètres pour qu'un train puisse, se ralentissant graduellement, être arrêté sans danger, et encore le mécanicien pour opérer avec certitude sur une si courte étendue, renversera sa vapeur et n'aura pas trop de trois bons freins pour l'aider. Pour éviter les accidens imprévus, et qui appartiennent à l'exploitation des chemins de fer comme à toute œuvre humaine, beaucoup de prudence et des réglemens nets, positifs, ne pouvant donner lieu à aucune méprise, telle est en somme la meilleure garantie.

Quant aux accidens partiels, ils sont dus le plus souvent à l'imprudence des voyageurs eux-mêmes, qui refusent d'écouter tout avis et se font un jeu d'enfreindre les consignes les plus plausibles. Les avertissemens affichés en grosses lettres dans les stations ne peuvent empêcher personne de descendre, au risque de blessures graves, pendant que le convoi est encore en mouvement. Souvent les compagnies sont absolument débordées, et par ce fait deviennent irresponsables. Le 6 juin 1867, trois souverains passaient une revue sur l'hippodrome de Longchamp. L'espoir d'un tel spectacle avait attiré une affluence énorme à la gare de l'Ouest. Le train de banlieue fut littéralement pris d'assaut. Rien n'y fit, ni les observations des employés, ni les menaces des agens de police, ni la vue de l'écharpe des commissaires : les wagons furent escaladés ; il y avait des voyageurs sur le toit, sur le marchepied des voitures ; partout où un homme avait pu s'accrocher, la place était prise. Force fut de partir dans de si redoutables conditions ; nul accident ne se produisit, ce fut un miracle, car il suffisait qu'un imprudent se levât sous un tunnel pour être décapité, ou laissât traîner ses jambes pour les voir brisées contre un poteau. Si ce malheur fût arrivé, on eût poussé toute sorte de cris, attaqué la compagnie et traduit les agens devant les tribunaux. Le système anglais n'est-il pas préférable ? Quand un voyageur monte en wagon, il prend, moyennant 3 pence, un ticket d'assurance qui donne droit à ses héritiers, en cas de mort, à une somme de 1,000 livres sterling ; les diverses avaries auxquelles un voyageur est exposé en chemin de fer sont cotées selon la gravité et représentées par des sommes proportionnelles. De cette façon, tout se passe librement, par un contrat spontanément consenti et à l'abri de l'intervention toujours pénible de la justice ; mais de tels moyens sont trop simples et trop pratiques pour être adoptés en France, où le parti excellent qu'on peut, en toutes choses, tirer des compagnies d'assurances est à peine soupçonné. ”

Cas non prévu par les polices d'assurance contre la grêle
(Cas non prévu par les polices d'assurance
contre la grêle) [**]
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