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LES CHEMINS DE FER À PARIS - LA GARE DE L'OUEST (RIVE DROITE) EN 1868 PAR MAXIME DU CAMP - PARTIE IX / XI

 

Ligne Guéret - La Chaussée (La Châtre). Mise en service le 01/07/1906. Fermeture au service voyageurs le 01/07/1939

IV.

“ En échange des concessions faites aux compagnies, l'état leur impose un cahier des charges, dont la rigoureuse exécution est surveillée par un commissaire spécial. Ce cahier fixe la direction, la largeur de la voie, le nombre de stations, détermine le nombre de wagons qui composent un train [Au maximum 50 pour les trains de marchandises, 24 pour les trains de voyageurs, 30 pour les trains portant des troupes (cependant la compagnie de Paris-Lyon a obtenu en 1859, un jour d'urgence, l'autorisation d'attacher 35 voitures à la même locomotive).], le prix par tête, par kilomètre, par kilogramme, des voyageurs, des bagages, des valeurs d'or et d'argent, des marchandises. De plus il frappe les compagnies de certaines obligations en faveur des services publics : gratuité de transport des bureaux ambulans de la poste et des voitures cellulaires, réduction des trois quarts pour les militaires ou les marins voyageant isolément ou en corps. Cette dernière mesure, parfaitement juste en elle-même, donne lieu à un abus qu'il est bon de signaler, car il est fréquent. Qu'un soldat, quel que soit son grade, voyageant en uniforme pour affaire de service, soit exempté, sur la simple exhibition de sa feuille de route, de la majeure partie des frais de transports, rien de mieux ; mais qu'un général, un haut fonctionnaire des ministères de la guerre ou de la marine, voyageant en bourgeois, pour son plaisir, puisse à l'aide d'une feuille de congé délivrée par complaisance jouir des mêmes avantages, cela est absolument hors de l'équité qui a présidé à la rédaction du cahier des charges. C'est dépasser de beaucoup l'esprit de la convention acceptée, et c'est grever les chemins de fer d'une sorte d'impôt additionnel que rien ne justifie. Les compagnies subissent plutôt qu'elles n'acceptent cet inconvénient, que moins de facilité de la part des chefs de corps et des ministères ferait disparaître immédiatement. ”

Intérieur d'un wagon-poste
Intérieur d'un wagon-poste [*]
 
 “ Arago, dans la discussion de 1838, semble douter de l'utilité stratégique des voies ferrées ; de récens exemples ont donné un démenti à cette prévision, qui prouve une fois de plus combien l'établissement des chemins de fer français avait laissé d'hésitation dans les esprits les meilleurs et les plus perspicaces. Ce qui s'est passé en France même pendant la campagne de 1859 démontre quels secours puissans les rail-ways apportent à la guerre. Le chemin de Paris à Lyon et la Méditerranée a transporté dans l'espace de quatre-vingt-six jours 185,000 hommes, 33,000 chevaux, 4,500 voitures d'artillerie et de train, 40 convois de matériel et de munitions ; la moyenne des wagons mis quotidiennement à la disposition de l'armée était de 518 ; le nombre de trains a été de 2,636, dont 302 spéciaux, et ils ont circulé en moyenne avec une vitesse de 27 kilomètres ½ par heure ; pas un accident n'est venu entraver la marche des convois, dont le nombre était cependant de 30,6 par jour, ce qui donne 1,28 à l'heure. Dans cette circonstance, les chemins de fer ont été les auxiliaires de la victoire, mais bien plus encore l'ont-ils été dans la campagne d'Allemagne de 1866. C'est l'emploi intelligent qu'on a su en faire qui, joint à l'excellent et homogène esprit de l'armée prussienne, a, bien mieux que le fusil à aiguille, remporté les foudroyantes victoires de Bohême. Aussi la Prusse se l'est tenu pour dit. Prévoyante et réfléchie, elle a délégué des officiers auprès des principales gares de chemin de fer afin de surprendre sur le fait même toutes les parties de l'exploitation, et de pouvoir par ce moyen rendre plus tard d'importans services à une armée prête à entrer en campagne. Cet exemple est bon, il mérite d'être médité et suivi. La victoire est dans le courage des soldats, mais elle est aussi dans leurs jambes : le mot est de Napoléon Ier. Un train faisant dix lieues à l'heure remplace très avantageusement toutes les marches forcées imaginables ; il s'agit donc, pour les gouvernemens qui se préoccupent des réformes militaires, de comprendre que les voies ferrées font aujourd'hui partie du matériel de la guerre. Si ce n'est pas un engin de destruction, c'est un moyen de rapidité pour l'acheminement des masses. On doit en étudier les mécanismes avec un soin tout particulier, et les officiers d'état-major devraient à ce sujet se faire une éducation complète. La chose est grave et vaut que l'on y pense. Le matériel de toutes les compagnies françaises réuni sur une seule ligne peut au besoin, et si les circonstances l'exigeaient impérieusement, jeter en vingt-quatre heures 300,000 hommes sur une frontière. A ce point de vue encore, les chemins de fer sont un bienfait pour la civilisation. En favorisant un énorme entassement d'hommes sur un point déterminé, ils donnent à la guerre une force irrésistible, mais par cela même ils en limitent la durée et la contraignent à s'épuiser elle-même en deux ou trois combats.

Les services que les compagnies de chemins de fer rendent journellement à la population et à l'état sont considérables ; cependant on est injuste envers elles, volontiers on les accuse, et, sans tenir compte des améliorations que l'expérience a indiquées et qui presque toutes ont été réalisées depuis trente ans, on ne tarit pas en plaintes. Les chemins de fer ne sont point encore parfaits, cela n'est pas douteux, et il est probable que nos enfans auront des moyens de locomotion perfectionnés que nous ne soupçonnons guère ; mais, dans l'état actuel de la science, nos rail-ways font ce qu'ils peuvent, et c'est tout ce qu'on est en droit d'exiger d'eux. On leur reproche principalement l'espèce de monopole dont ils jouissent et les accidens dont ils sont le théâtre, malgré les soins inconcevables qu'on met à leur ôter toute chance de se produire.

Le monopole des chemins de fer n'a rien d'absolu. Il vient de la perfection même de l'installation et du prix énorme qu'elle coûte. Personne ne songera jamais à établir une ligne concurrente et parallèle entre Paris et Rouen. Ce monopole, qui existe en fait beaucoup plus qu'en droit, repose sur la concession primitive ; mais cette concession a autorisé l'état à intervenir pour fixer le prix des transports, ce qui en réalité n'est pas d'un intérêt majeur. Elle lui a permis aussi, et cela est extrêmement important, de forcer les compagnies à épanouir leur réseau de manière à étendre les voies ferrées jusque dans les pays les plus éloignés et les moins populeux. Les compagnies n'ont pas à s'en plaindre, puisque les pertes d'une ligne secondaire sont amplement compensées par les bénéfices d'une ligne principale, et qu'on arrive ainsi à un intérêt normal et régulier. Paris étant le centre, c'est-à-dire, le cœur, la vie est portée jusqu'aux extrémités de la France par les lignes du premier réseau, qui sont les artères, par les lignes du second, qui sont les veines, par les routes communiquant à la voie ferrée, qui sont les vaisseaux capillaires. De cette façon, la circulation est complète et vivifie toutes les parties du pays. C'est là un bienfait dont il faut tenir un grand compte et qui fait de nos chemins de fer une institution absolument démocratique. En ce sens, l'intervention de l'état a été féconde et excellente. En Angleterre, où l'industrie privée a été seule chargée de la construction des rail-ways, il n'en est point ainsi. Les compagnies en ont dirigé le tracé comme elles l'ont voulu ; guidées par leur seul intérêt, elles ont recherché avant tout ce qui pouvait leur procurer de grands gains matériels ; elles ont relié entre eux les grands centres, les centres riches, industriels, négligeant les voies secondaires qui ne leur promettaient que des bénéfices restreints ; elles présentent une organisation purement aristocratique. Si, comme chez nos voisins d'outre-Manche, l'industrie privée avait été laissée sans contrôle souveraine maîtresse du terrain, nos grandes lignes seules fonctionneraient aujourd'hui, et les diligences rouleraient encore sur presque toutes nos routes.

On croit volontiers aussi que les compagnies de chemins de fer ont d'incalculables richesses, et l'on est tenté de s'imaginer qu'elles vivent sur les rives d'un Pactole où l'on peut à toute heure puiser des flots d'or. On ne réfléchit pas que cette fortune appartient à tout le monde, qu'elle se divise à l'infini, et que, depuis le membre du conseil d'administration jusqu'au porteur d'une seule action, chacun participe aux bénéfices selon l'importance des fonds qu'il a versés. Par le nombre des capitaux qu'elles ont employés, les compagnies sont en quelque sorte dépositaires de la fortune publique. Les huit milliards que la construction de nos chemins de fer a coûté sont sortis de la poche de la France entière et représentent son épargne. L'intérêt, excessif dans le principe, s'est régularisé peu à peu par l'établissement des lignes secondaires, et il offre aujourd'hui au capital une rémunération juste, suffisante et assurée. ”

Défense de Paris en 1870
L'atelier de fabrication des affûts de canon
à la gare de Lyon [**]
RÉFÉRENCES