IV.
“ En échange des concessions faites aux compagnies, l'état leur impose un cahier des charges, dont la rigoureuse exécution est surveillée par un commissaire spécial. Ce cahier fixe la direction, la largeur de la voie, le nombre de stations, détermine le nombre de wagons qui composent un train [Au maximum 50 pour les trains de marchandises, 24 pour les trains de voyageurs, 30 pour les trains portant des troupes (cependant la compagnie de Paris-Lyon a obtenu en 1859, un jour d'urgence, l'autorisation d'attacher 35 voitures à la même locomotive).], le prix par tête, par kilomètre, par kilogramme, des voyageurs, des bagages, des valeurs d'or et d'argent, des marchandises. De plus il frappe les compagnies de certaines obligations en faveur des services publics : gratuité de transport des bureaux ambulans de la poste et des voitures cellulaires, réduction des trois quarts pour les militaires ou les marins voyageant isolément ou en corps. Cette dernière mesure, parfaitement juste en elle-même, donne lieu à un abus qu'il est bon de signaler, car il est fréquent. Qu'un soldat, quel que soit son grade, voyageant en uniforme pour affaire de service, soit exempté, sur la simple exhibition de sa feuille de route, de la majeure partie des frais de transports, rien de mieux ; mais qu'un général, un haut fonctionnaire des ministères de la guerre ou de la marine, voyageant en bourgeois, pour son plaisir, puisse à l'aide d'une feuille de congé délivrée par complaisance jouir des mêmes avantages, cela est absolument hors de l'équité qui a présidé à la rédaction du cahier des charges. C'est dépasser de beaucoup l'esprit de la convention acceptée, et c'est grever les chemins de fer d'une sorte d'impôt additionnel que rien ne justifie. Les compagnies subissent plutôt qu'elles n'acceptent cet inconvénient, que moins de facilité de la part des chefs de corps et des ministères ferait disparaître immédiatement. ”
Intérieur d'un wagon-poste [*] |
Les services que les compagnies de chemins de fer rendent journellement à la population et à l'état sont considérables ; cependant on est injuste envers elles, volontiers on les accuse, et, sans tenir compte des améliorations que l'expérience a indiquées et qui presque toutes ont été réalisées depuis trente ans, on ne tarit pas en plaintes. Les chemins de fer ne sont point encore parfaits, cela n'est pas douteux, et il est probable que nos enfans auront des moyens de locomotion perfectionnés que nous ne soupçonnons guère ; mais, dans l'état actuel de la science, nos rail-ways font ce qu'ils peuvent, et c'est tout ce qu'on est en droit d'exiger d'eux. On leur reproche principalement l'espèce de monopole dont ils jouissent et les accidens dont ils sont le théâtre, malgré les soins inconcevables qu'on met à leur ôter toute chance de se produire.
Le monopole des chemins de fer n'a rien d'absolu. Il vient de la perfection même de l'installation et du prix énorme qu'elle coûte. Personne ne songera jamais à établir une ligne concurrente et parallèle entre Paris et Rouen. Ce monopole, qui existe en fait beaucoup plus qu'en droit, repose sur la concession primitive ; mais cette concession a autorisé l'état à intervenir pour fixer le prix des transports, ce qui en réalité n'est pas d'un intérêt majeur. Elle lui a permis aussi, et cela est extrêmement important, de forcer les compagnies à épanouir leur réseau de manière à étendre les voies ferrées jusque dans les pays les plus éloignés et les moins populeux. Les compagnies n'ont pas à s'en plaindre, puisque les pertes d'une ligne secondaire sont amplement compensées par les bénéfices d'une ligne principale, et qu'on arrive ainsi à un intérêt normal et régulier. Paris étant le centre, c'est-à-dire, le cœur, la vie est portée jusqu'aux extrémités de la France par les lignes du premier réseau, qui sont les artères, par les lignes du second, qui sont les veines, par les routes communiquant à la voie ferrée, qui sont les vaisseaux capillaires. De cette façon, la circulation est complète et vivifie toutes les parties du pays. C'est là un bienfait dont il faut tenir un grand compte et qui fait de nos chemins de fer une institution absolument démocratique. En ce sens, l'intervention de l'état a été féconde et excellente. En Angleterre, où l'industrie privée a été seule chargée de la construction des rail-ways, il n'en est point ainsi. Les compagnies en ont dirigé le tracé comme elles l'ont voulu ; guidées par leur seul intérêt, elles ont recherché avant tout ce qui pouvait leur procurer de grands gains matériels ; elles ont relié entre eux les grands centres, les centres riches, industriels, négligeant les voies secondaires qui ne leur promettaient que des bénéfices restreints ; elles présentent une organisation purement aristocratique. Si, comme chez nos voisins d'outre-Manche, l'industrie privée avait été laissée sans contrôle souveraine maîtresse du terrain, nos grandes lignes seules fonctionneraient aujourd'hui, et les diligences rouleraient encore sur presque toutes nos routes.
On croit volontiers aussi que les compagnies de chemins de fer ont d'incalculables richesses, et l'on est tenté de s'imaginer qu'elles vivent sur les rives d'un Pactole où l'on peut à toute heure puiser des flots d'or. On ne réfléchit pas que cette fortune appartient à tout le monde, qu'elle se divise à l'infini, et que, depuis le membre du conseil d'administration jusqu'au porteur d'une seule action, chacun participe aux bénéfices selon l'importance des fonds qu'il a versés. Par le nombre des capitaux qu'elles ont employés, les compagnies sont en quelque sorte dépositaires de la fortune publique. Les huit milliards que la construction de nos chemins de fer a coûté sont sortis de la poche de la France entière et représentent son épargne. L'intérêt, excessif dans le principe, s'est régularisé peu à peu par l'établissement des lignes secondaires, et il offre aujourd'hui au capital une rémunération juste, suffisante et assurée. ”
Défense de Paris en 1870 L'atelier de fabrication des affûts de canon à la gare de Lyon [**] |