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LES CHEMINS DE FER À PARIS - LA GARE DE L'OUEST (RIVE DROITE) EN 1868 PAR MAXIME DU CAMP - PARTIE VIII / XI

 

“ Tout mécanicien, tout chauffeur est pourvu d'un livret de dimensions calculées pour entrer facilement dans une poche, imprimé en gros caractères et divisé en trois chapitres comprenant les attributions et la responsabilité, les mesures de sûreté, les mesures d'ordre. Dans ce petit livre, composé d'une centaine de pages et qui est un modèle de clarté, le mécanicien trouve non-seulement les prescriptions qui fixent d'une façon absolue toutes les précautions, tous les soins qui doivent assurer sa route, mais encore l'indication des mesures à prendre pour chaque circonstance exceptionnelle qui peut se présenter devant lui ; s'il sait son livret par cœur, il est à l'abri de tout accident qui n'est pas produit par un méchant hasard. Ce qui frappe le plus quand on étudie consciencieusement et sans parti-pris les chemins de fer, c'est l'extrême prévoyance des chefs de service, qui, à force de réflexion, de travail et de combinaisons ingénieuses, sont parvenus à se rendre maîtres de toutes les conjectures possibles et à annuler presque les chances mauvaises qui menacent toujours une semblable exploitation.

 

L'intelligence pratique des mécaniciens assure la stricte exécution des règlemens. Tout, pour ces hommes dont les sens sont parvenus à un degré d'acuité extraordinaire, est un indice et un renseignement. La nuit et les yeux bandés, sur une route dont ils ont l'habitude, ils sauront précisément où ils sont. A l'air plus frais qui frappe leur visage, ils pressentent l'approche des vallées ; par le bruit plus strident et pour ainsi dire multiplié du train en marche, ils sont prévenus qu'ils passent entre des remblais ; une fade odeur de moisi leur annonce le voisinage des tunnels ; le parfum humide et pénétrant des bois endormis leur apprend que la forêt est auprès d'eux ; quand le train glisse presque sans rumeur, c'est qu'on descend une pente ; si au contraire il peine comme un homme chargé d'un fardeau trop lourd, c'est qu'on gravit une rampe ; les oscillations de la machine leur indiquent une voie fatiguée et qui a besoin de réparations. Semblables à ces chefs de caravane qui, dans un désert toujours semblable, sous la morne intensité du ciel obscur, savent distinguer à des signes invisibles pour d'autres le lieu qu'ils traversent, les mécaniciens paraissent doués de sens spéciaux qui leur permettent en toute conjoncture de reconnaître avec certitude chaque point de leur parcours et de manœuvrer en conséquence.

 

Lorsqu'un convoi est composé de quinze voitures au moins, il est accompagné par trois agens qui sont : le chef de train, le conducteur, le conducteur d'arrière. Ils doivent se tenir pendant le trajet chacun dans une loge vitrée placée au sommet d'un wagon, ayant les freins sous la main et pouvant d'un seul coup d'œil embrasser la voie entière. Ces hommes-là sont aussi porteurs d'un livret spécial, qui renferme leurs instructions et les met à même de pourvoir à tous les cas accidentels. L'article 38 de ce règlement contient les recommandations relatives aux rapports des conducteurs avec les voyageurs ; la citation du premier paragraphe montrera dans quel esprit elles sont conçues : « Les conducteurs doivent avoir pour tous les voyageurs les plus grands égards et se montrer toujours prévenans et empressés. » Et plus loin  « Ils doivent éviter avec le plus grand soin tout ce qui serait de nature à troubler les voyageurs. » — Il est superflu de dire que les employés ont une caisse de secours largement alimentée par la compagnie, et qu'ils reçoivent les soins gratuits du médecin. Ce dernier fait chaque jour en gare, à midi, une visite des agens qui croient devoir recourir à lui. En hiver et en été, des boissons toniques sont distribuées aux employés, qui trouvent en outre à l'économat de l'administration des vêtements d'excellent drap, qu'on leur livre exactement au prix de revient. Parmi les conducteurs que nous voyons à chaque station descendre, crier le nom de la gare, courir aux portières, qu'ils ouvrent, donner le coup de sifflet du départ et remonter à leur vigie quand déjà le train est en marche, beaucoup sont d'anciens militaires. Ils apportent dans le service la régularité et l'agilité pratique de leur ancien état. Ces fonctions, qui exigent une assez grande résistance physique, demandent des gens alertes et vigoureux ; aussi les compagnies ont fixé une limite d'âge au-delà de laquelle on n'est plus admis à entrer dans les chemins de fer ; l'Ouest ne reçoit aucun employé âgé de plus de trente-cinq ans. Pour ces hommes continuellement en rapport avec les voyageurs, ayant à veiller sur les bagages, les groups, les mille objets qu'on laisse dans les voitures, lorsqu'on descend momentanément à une station, la probité est devenue l'esprit de corps [Les employés ont, pendant l'année 1867, recueilli 7,382 objets dans les wagons arrivés à la gare de l'Ouest (rive droite). Sur ce nombre, 1,615 ont été rendus à leurs propriétaires, qui les ont réclamés ; 3,630 ont été livrés au domaine ; 1,301 ont été déposés à la préfecture de police, et 836 restent au bureau des réclamations.]. Leurs actes recommandables sont devenus tellement fréquens qu'on ne les récompense même plus, on se contente de les indiquer sur un tableau mensuel.

 

Il ne suffit pas aux compagnies de transporter les voyageurs et les marchandises aux stations des lignes exploitées ; elles les conduisent aussi sur différens points de Paris, et pour cela elles ont un service spécial d'omnibus et de camions. L'Ouest emploie à cette exploitation particulière 350 voitures et 650 chevaux. Ses omnibus roulans sont au nombre de 41, 24 pendant l'hiver, 30 pendant l'été et 11 de réserve pour les jours d'affluence exceptionnelle. Les voitures de factage et les camions portent les colis, les groups et les marchandises à domicile. Les omnibus ont été mis à la disposition des voyageurs à la gare de l'Ouest dès le principe, quand fonctionnait la seule ligne de Saint-Germain. Un ancien maître de poste, M. Aureau, avait pris ce service à cœur, et lui donna au début même une importance considérable : les chevaux étaient choisis avec un soin extrême ; forts, vigoureux, à large poitrail, à jambes irréprochables, ils ont fait de tout temps l'admiration des maquignons. On peut dire que la compagnie de l 'Ouest a trouvé, sinon créé, le type modèle du cheval d'omnibus [C'est aussi la compagnie de l'Ouest qui la première a, sur les omnibus, abrité les voyageurs d'impériale par une tente en toile cirée, et leur a permis de gagner leur place à l'aide d'un escalier à rampe, supérieur, sous le double rapport de la facilité et de la sécurité, aux marchepieds superposés dont on garde encore l'usage dans d'autres entreprises.]. Ces chevaux fournissent une longue et très utile carrière ; quand ils ne sont plus aptes à traîner rapidement et sûrement les voitures réservées aux voyageurs, on les fait entrer dans le factage, ensuite on les attelle aux camions, et enfin, quand ils sont épuisés et vieux, on les réduit à ces charrois faciles qu'exige l'exploitation intérieure de toute gare de marchandises. ”