Index
Suivante
Précédente
LES CHEMINS DE FER À PARIS - LA GARE DE L'OUEST (RIVE DROITE) EN 1868 PAR MAXIME DU CAMP - PARTIE IV / XI

 

Carte générale des routes et des chemins de fer de la France (1857)
Carte générale des routes et des chemins de fer de la France (1857)

II.

“ À mesure que le réseau s’étendait et se complétait, on reconnaissait les nombreux inconvéniens qu’offraient dans la pratique de l’exploitation le morcellement des concessions. Pour y remédier, pour parvenir autant que possible à l’unité de direction nécessaire dans de telles administrations, les chemins de fer furent divisés en six groupes, et chacun d’eux fut attribué à une seule compagnie. Cette fusion très intelligente, dont les résultats ont été excellens, fut consacrée par diverses lois en 1859 et 1863. Les six compagnies qui exploitent aujourd’hui les chemins de fer français sont celles de l’Ouest, de l’Est, du Nord, de Paris à la Méditerranée, d’Orléans et du Midi. Les voyageurs partent de Paris et y arrivent par huit gares, qui sont celles du Nord, de l'Est, de Lyon, d'Orléans, d'Orsay, de Vincennes, de l'Ouest rive gauche et de l'Ouest rive droite. C’est de cette dernière que nous parlerons principalement, car c’est la gare-mère, et de plus c’est celle qui, par ses lignes de banlieue a les rapports les plus fréquens avec les Parisiens.

 

Quand il fut question de la construire, quelques temps avant l’inauguration du chemin de fer qui aboutissait au Pecq, on trouva l’emplacement qui lui était réservé place de l’Europe si éloigné du centre des affaires, du Paris habité, qu’on agita très sérieusement le projet de l’établir à l’angle sud-est de la place de la Madeleine et de la rue Tronchet. Les rails, supportés sur « d’élégans arceaux de fonte élevés à 20 pieds au-dessus du sol et ayant une longueur de 615 mètres, » selon le rapport, auraient traversé les rues Saint-Lazare, Saint-Nicolas, des Mathurins et Castellane, dont chacune aurait eu une station particulière. Aussi, dans le principe, la gare de la place de l’Europe ne fut-elle que provisoire ; mais les propriétaires des immeubles menacés d’expropriation firent entendre de telles clameurs, l’ouverture du chemin de fer amena dans le quartier Saint-Lazare une si grande affluence de voitures, qu’on abandonna définitivement ce projet, qui avait été poussé bien loin, car on avait arrêté et soumis à l’autorité compétente le plan du bâtiment destiné à faire façade sur la place de la Madeleine. Ce plan existe encore, et je l’ai sous les yeux. Rien qu’à le voir, on comprend combien on avait peu deviné l’avenir réservé aux chemins de fer. Quoique qualifiée de « monumentale », la façade de cette gare, qui heureusement n’a jamais été construite, est de dimensions singulièrement restreintes ; elle ne suffirait pas à loger un des magasins qui s’étalent maintenant aux angles de certains carrefours. C’est une sorte de maison à l’italienne, à trois étages percés chacun de huit fenêtres ; le dégagement principal est représenté par un escalier de vingt-quatre marches s’ouvrant sous un porche plein cintre assez large pour laisser passer cinq ou six personnes de front. La gare d’une ville de province de troisième ordre a aujourd’hui une importance plus considérable que cette triste et insuffisante construction. Elle était cependant bien réellement monumentale, si on la compare à la masure qui sur la place de l’Europe recevait les voyageurs. Cette dernière était située au-dessus du premier tunnel, à l’endroit où fut planté un square récemment enlevé et remplacé par ce magnifique pont en forme d’étoile sorti des ateliers de M. Cail, et qui est un des chefs-d’œuvre métallurgiques de notre époque. Le bâtiment était petit, assez mal distribué, bâti en limousinerie, peint en jaune clair, et donnait accès à la voie par deux rampes non abritées qui laissaient les voyageurs exposés à la pluie, à la neige ou au soleil.

 

Le matériel de l’exploitation était en rapport avec la gare ; il y avait cinq espèces de voitures : 5 berlines fermées, 2 berlines ouvertes, 8 diligences, 20 wagons garnis, 70 wagons non garnis. Ces 105 voitures contenaient ensemble 4,070 places. C’était, croyait-on à cette époque, de quoi satisfaire largement dans le présent et dans l’avenir aux besoins du public. Les diligences et les berlines ressemblaient aux voitures dont elles portaient les noms ; sur l’impériale, on entassait les bagages, pour lesquels on n’avait pas encore inventé de fourgons spéciaux ; les berlines ouvertes et les wagons garnis étaient plus ou moins rembourrés, n’avaient point de murailles, mais étaient latéralement protégés par des filets à larges mailles qui donnaient passage à d’insupportables courans d’air ; quant aux wagons non garnis, il faut les avoir vus pour imaginer qu’on ait osé offrir de tels tombereaux à des voyageurs.  Ils représentaient de grandes auges meublées de bancs en bois, sans plafond et sans côtés ; on y était absolument en plein air. Il ne fallut rien moins qu’une campagne vertement menée par les journaux pour faire abandonner ce moyen de transport inhumain, qui céda la place à ce que l’on nomme aujourd’hui les troisièmes. On était tellement en garde contre les imprudences et les enfantillages du public parisien, que toute voiture était fermée à clé, et qu’il était impossible d’en sortir sans l’intervention d’un des employés chargés d’accompagner le train. Cette prétendue mesure de sécurité eut d’épouvantables conséquences, ainsi que j’aurai à le raconter plus loin. La force motrice de l’exploitation était composée de douze locomotives représentant ensemble une puissance de 360 chevaux. Il y avait sept départs de Paris pour le Pecq et huit du Pecq pour Paris ; c’était donc un total de quinze convois circulant dans la gare de la place de l’Europe. A Batignolles, on avait construit une gare destinée aux marchandises ; on en admirait dans ce temps-là les vastes proportions ; elle avait 250 mètres de long sur 100 mètres de large.

 

La gare du chemin de fer de Saint-Germain a fait comme ces cactus dont les feuilles, poussant successivement l’une sur l’autre, finissent par devenir un arbre énorme. Aujourd’hui, ouverte sur la rue Saint-Lazare, bordée par la rue de Rome, le pont de l’Europe, la rue de Londres, la rue d’Amsterdam, elle couvre une superficie de 11 hectares ; elle est la tête d’un réseau qui se développe déjà sur une étendue de 2,054 kilomètres. L’exploitation possède 630 locomotives et 13,686 voitures de toute espèce ; en 1866, elle a transporté 22,122,224 voyageurs, dont 14,140,025 pour la seule banlieue de Paris, et son personnel classé se compose de 12,572 agens. Le nombre de trains que la gare expédie et reçoit est énorme : le 2 juin 1867, il s’est élevé au chiffre invraisemblable de 475 ; il faut dire que ce jour-là les préposés aux guichets ont délivré 159,742 billets pour la banlieue. Ainsi qu’on le voit, le public s’est familiarisé avec cette façon de voyager ; il y a trente ans cependant, bien des gens croyaient faire acte de courage en allant de Paris au Pecq en chemin de fer. Quant au mouvement que les voies ferrées ont imprimé aux habitudes sédentaires des Parisiens, on l’appréciera par la comparaison de deux chiffres. On a calculé qu’en 1836 le va-et-vient annuel entre Paris et Saint-Germain était représenté en nombres ronds par 400,000 personnes se servant des accélérés, de tapissières et de coucous ; en 1866, 3,482,789 voyageurs ont fait le même trajet par le chemin de fer.

 

Il faudrait un volume pour raconter en détail tous les aménagements divers de la gare de l’Ouest et toutes les opérations qui s’y exécutent à chaque instant, depuis le départ du premier train, qui quitte Paris à 4 h. 50 m. du matin, jusqu’au départ du dernier à minuit 45 m. Elle n’est pas uniquement consacrée à l’exploitation, elle loge l’administration, la comptabilité, et offre le double aspect d’une usine et d’un ministère. Chaque destination spéciale a son guichet où l’on délivre des billets, ses salles d’attente particulières, son quai réservé pour l’embarquement. De plus il faut compter les échoppes de libraires, de marchands de journaux, les buffets et buvettes, les bureaux de correspondance pour les villes qu’une route et un service d’omnibus relient à une station éloignée, des postes pour les agens de police, les douaniers et les employés de l’octroi, une boîte aux lettres, un bureau télégraphique, des ailes différentes de bagages pour le départ et l’arrivée, enfin un bureau de renseignements dont l’employé me paraît l’homme le plus à plaindre du monde, car il doit répondre avec exactitude et résignation à des questions multiples sans cesse renouvelées, embrassant une quantité de localités diverses, questions fatigantes, monotones, souvent inutiles et parfois saugrenues. En Angleterre, il n’en est point ainsi : dans les gares sont tendues de grandes affiches où toutes les indications imaginables concernant l’exploitation de la voie sont minutieusement détaillées. C’est au voyageur à se rendre compte des formalités qu’il doit remplir. L’administration l’a mis à même d’apprendre vite et bien tout ce qu’il importe de savoir ; elle ne s’inquiète plus du reste, et l’idée ne lui vient même pas d’avoir un agent chargé de répéter de vive voix les renseignements qu’on peut lire d’un seul coup d’œil sur une pancarte placée en évidence et à la portée de tous. Que de fois, dans une gare française, nous avons vu un employé, dont la patience nous émerveillait, expliquer des heures de départ et d’arrivée à un voyageur qui n’avait qu’à se retourner pour en voir le tableau affiché à côté de lui ! On se plaint souvent de la vivacité des agens d’administration ; a-t-on bien réfléchi que les saints se damneraient eux-mêmes à être toute minute en contact avec un public exigeant, questionneur, très puéril, dont la paresse augmente avec l’ignorance, et qui s’imagine volontiers que les employés doivent tout savoir et sont tenus de répondre à chaque interrogation qu’on leur adresse, même lorsqu’elle ne concerne pas leur service ? Aussi les agens trouvent le public injuste et font entendre bien des doléances sur leur sort. Cela même devient parfois assez plaisant. Les employés du chemin de fer de Paris-Lyon-Méditerranée portent sur leur casquette, qu’on appelle indifféremment le tampon ou la plaque tournante, les lettres initiales P.-L.-M. Ils prétendent que les trois lettres signifient : plaignez les malheureux. ”

Embarcadère du chemin de fer du Nord
Embarcadère du chemin de fer du Nord [*]
 
 
Embarcadère des chemins de fer de l'Est
Embarcadère des chemins de fer de l'Est [**]
 
Chemins de fer de l'Est ; vue intérieure de la gare de Paris
Chemins de fer de l'Est ;
vue intérieure de la gare de Paris [**]
 
Embarcadère du chemin de fer de Lyon
Embarcadère du chemin de fer de Lyon [*]
 
 
Embarcadère du chemin de fer d'Orléans
Embarcadère du chemin de fer d'Orléans [*]
 
 
Embarcadère des chemins de fer de Sceaux et d'Orsay
Embarcadère des chemins de fer de Sceaux et d'Orsay [*]
 
 
Embarcadère du chemin de fer de Vincennes
Embarcadère du chemin de fer de Vincennes [*]
 
 
Embarcadère des chemins de fer de l'Ouest (rive gauche)
Embarcadère des chemins de fer de l'Ouest (rive gauche) [*]
 
 
Gare du chemin de fer de l'Ouest (rive gauche)
Gare du chemin de fer de l'Ouest (rive gauche) [**]
 
 
Vue intérieure de la gare de Paris ; chemin de fer de l'Ouest
Vue intérieure de la gare de Paris ;
chemin de fer de l'Ouest [**]
 
 
Embarcadère des chemins de fer de l'Ouest (rive droite)
Embarcadère des chemins de fer de l'Ouest (rive droite) [*]
RÉFÉRENCES