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ORIENT-EXPRESS - QUATRIÈME PARTIE

 

Venise Simplon-Orient-Express • Paris-Est • 05/05/2013
WL Type Lx 3482 • 1929 • CONSTRUCTEUR : METROPOLITAN CAMMELL CARRIAGE & WAGON CO, LTD. SALTLEY, BIRMINGHAM

VSOE 27042 / 27043 VENEZIA-SANTA LUCIA > PARIS-EST > CALAIS-VILLE
05/05/2013 • 08:49 • PARIS-EST (75) • 48.876667, 2.359444

Paris, destination mélancolique
Dernier arrêt Gare de l’Est :
ainsi se termine le voyage dans le train de la mémoire.

“ Un voyage dans la passé peut-il être aussi perturbant ? Des fenêtres de l’Orient-Express, musée roulant arrivé en terre de France, les champs de blé baignés par la pluie défilent, les petites gares grises dorment encore, l’eau tape bruyamment sur les tôles et le temps semble être suspendu dans le regard des voyageurs qui viennent de se réveiller à l’aube et qui bientôt rejoindront Paris. En attendant d’arriver à la Gare de l’Est, Jake, le jeune steward néo-zélandais prépare le somptueux petit-déjeuner servi dans les compartiments. Café au lait, gâteaux et confiture mais aussi une très fraîche macédoine de fruits et les plaisirs d’une élégance de la table qui n’existe plus : couverts en argent, petites nappes brodées, porcelaine anglaise.

L’esprit du voyageur libre d’errer, a aussi parcouru avec le trajet Venise-Paris un long chemin rétrospectif en retrouvant des morceaux d’histoire collective et personnelle liés au Venise Simplon-Orient-Express et ses trains de luxe frères, qui depuis les années vingt et trente ont filé à toute vitesse sur les rails de toute de l’Europe. De cette fenêtre sur le monde, on se réjouit des paysages à couper le souffle, surtout la traversée des montagnes autrichiennes et l’on découvre des histoires personnelles comme celles de ce couple partageant mon compartiment, qui pour la troisième fois effectue ce voyage en changeant à chaque fois d’itinéraire. Ce pourrait être le dernier me dit-il, la soixantaine aisé, accompagnant son épouse gravement malade. « Elle adore voyager en train, il lui reste si peu à vivre, ici elle se sent traitée comme une princesse, à la maison elle ne résiste presque plus et me demande toujours : quand retournons-nous sur l’Orient ? ». Ou des révélations pimentées : Michele Rocca, chef steward, depuis douze ans en service, me montre la sleeping-car 3544, la voiture la plus licencieuse du train, qui fut utilisée en France comme bordel roulant pendant l’Occupation.

Dévastée et pillée, les voitures des différents trains de luxe historiques ont été patiemment récupérées dans différentes parties de l’Europe pour être restaurées. Le premier noyau du nouvel Orient fut rassemblé par James B. Sherwood, propriétaire de la Sea Containers, en achetant les épaves de la voiture-restaurant pullman du roi du Maroc. La fascination pour l’appellation Orient était encore très forte, alors Sherwood lâchait les siens à la fin des années soixante-dix entre gares, ports, containers et terminaux divers à la chasse des voitures encore existantes. Beaucoup de voitures retrouvées sur des voies désaffectées de gares espagnoles, certaines achetées auprès de particuliers, d’autres encore très fortement endommagées par les bombardements comme la célèbre Audrey, qui est devenue pendant deux ans la voiture des Windsor. La restauration, et la reconversion des voitures réalisées au Lancashire, en Allemagne et en Belgique a coûté environ onze millions de livres et vingt-trois mille heures de travail, mais à la fin cela s’est révélé être une bonne affaire. De 1982 à aujourd’hui, contre toute prévision, la  culture du voyage lent et du temps retrouvé est revenue à s’imposer et de nos jours le mot luxe signifie surtout la possibilité de jouir du silence, de rythmes reposants et de beauté.

Paris, Gare de l’Est, toutes les belles choses ont une fin, dit M. Legrand, touriste âgé et solitaire qui réalise le voyage au moins deux fois par an par pure passion historique. Petit, brun, barbiche et col dur, à mi-chemin entre le magicien Oudini et Arsène Lupin. « C’est toujours plus difficile de trouver des lieux si fidèles aux images qui habitent encore ma mémoire », confesse-t-il. En descendant, M et Mrs Cain, elle voltigeant dans sa jupe, lui austère en veste à boutons dorés.

Les stewards droits et alignés devant leur voiture respective, saluent les passagers et les accompagnent avec bagages et parapluies. Christian, le chef, est déjà en train de faire la provision des denrées à partir des chariots stationnés devant les voitures, Vincent Gullon, le train manager, a un rendez-vous de travail à terre. L’Orient-Express repartira sous peu, destination Calais, puis d’autres voitures conduiront les cent quarante passagers jusqu’à Londres. C’est le parcours le plus fréquenté : trente-cinq trajets par an.

Je m’arrête ici, et cela me déplaît un peu. Ce n’est pas un hasard si philosophes et anthropologues se bagarrent sur la thèse selon laquelle chaque vie est vécue comme un conte. Sur ce train de la mémoire et de l’oubli, vingt-quatre heures suffisent à vérifier la justesse de l’hypothèse. Dans ces voitures se jouent, chaque jour, comédies et drames, représentation théâtrale du soi facilitées par le contexte. Paris sous la pluie est luisante et accueillante. Courage, c’est beau de retourner au monde contemporain. Le mythe repart encore avant que je ne sorte de la gare. ”

Venise Simplon-Orient-Express • Paris-Est • 19/09/2008