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ORIENT-EXPRESS - TROISIÈME PARTIE

 

Smoking et mousseline sur le train de luxe.
Dans le musée roulant où la sobriété
est un péché mortel.

“ Innsbruck, on descend pour un bref arrêt. L’Orient-Express luisant de pluie brille dans la gare déserte d’où accourent les employés chargés de l’approvisionnement en eau reversée dans les grandes citernes blanches situées sous le toit des wagons. Les passagers en profitent pour une photo avec les stewards et les serveurs de bord, beaucoup se sont déjà changés pour la soirée. Sur le Venise Simplon-Orient-Express musée roulant et limbes des rêves perdus, la sobriété est un pêché mortel. Une famille indienne en habit de gala se promène solennellement le long des voies, presque tous les hommes portent le smoking, les dames en organza et mousseline ont traversé indemne le siècle des jeans. En voiture ! On repart.

Autrefois, ne voyageaient ici que les régnants et les attachés d’ambassades, les riches et les célèbres. Dans les années d’or, entre 1920 et 1930, ce fut surtout la traversée de six frontières qui fit naître le mythe du train des espions et des aventuriers. Six films et dix-neuf livres ont consolidé ce mythe entre les deux guerres mondiales. « Aujourd’hui tout est changé, notre passager typique est un actif à peine aisé qui a envie de vivre des vacances différentes une fois dans sa vie. Ou bien deux jeunes en lune de miel. Ou un couple qui a envie de célébrer dignement un anniversaire ». Vincent Gullon, train manager depuis deux ans, après avoir dirigé un autre mythe roulant, le Royal Scotsman, dit que travail ici est un privilège : « On le fait par passion, presque par vocation. Car c’est un voyage qui marque, qui reste avec nous une semaine entière ». L’année dernière, le vingt-cinquième de la nouvelle gestion, a été exceptionnelle pour les résultats et les réservations. C’est pour cela que la société basée à Londres a décidé de rajouter de nouveaux trajets. En plus du Venise-Cracovie-Vienne, sera mis en service le Venise-Cracovie-Dresde. Le train rejoint aussi actuellement Prague, Budapest et Rome avec des itinéraires différents.

Je change de voiture pour le dîner, je suis dans la dining-car 4141, la pullman construite pour le Côte d’Azur. C’est une des plus luxueuses des dix-huit qui constituent l’Orient-Express. Décor blanc et azur, parois recouvertes de très précieux panneaux Lalique figurant des scènes de bacchanales licencieuses. Moitié d’origine, moitié reconstituées pour remplacer celles arrachées lors des pillages de guerre. Sont aussi de René Lalique, les lumières et les appliques tulipe autres bijoux Art Déco. A bord on parle anglais et français, il n’y a qu’un couple d’italiens. « L’idée plait beaucoup, mais pour nos compatriotes l’Orient reste une hypothèse de voyage presque jamais satisfaite », dit Franco Delle Piane, président du conseil d’administration, depuis vingt-cinq ans dans le groupe Orient. Aujourd’hui, l’homme qui a fait renaître le mythe Orient-Express, James B. Sherwood, a laissé la société qu’il avait créé comme filiale de la Sea Containers. Le groupe maintenant indépendant compte quarante hôtels de luxe dans le monde entier, six trains et un navire qui traverse l’Irrawaddy en Birmanie. Sherwood, américain du Kentucky, figure singulière d’entrepreneur amoureux des reliques du passé, a passé la moitié de sa vie en voyages, à la recherche des lieux les plus beaux et des resorts les plus incroyables à rajouter à la liste de ses sociétés. En courrant des risques sérieux comme le raconte Delle Piane, quand au Pérou entre Cuzco et Machu Pichu, où circule le majestueux Hiram Bingham, il fit un atterrissage de fortune sur les montagnes et fut sauvé miraculeusement après vingt-quatre heures.

À côté d’une grand-mère en boa blanc, avec un neveu en cravate noire qui semble un Woody Allen de douze ans, je dîne avec le directeur. Sole, canard rôti au foie gras, fromages français, figues et abricots avec crème d’amande et glace. Puis nous allons tous dans la voiture-bar, musique live et un bon alcool. Selon le barman italien, les passagers de l’Orient-Express privilégient le gin et la vodka. Comme typique confident de comptoir, il sait raconter les histoires des célébrités passées ici, de John Travolta à Bjork, de Liza Minnelli à Harrison Ford, Peter Gabriel, Johnny Hallyday et notre Gino Paoli. Deux seuls repas ne suffisent pas à tester la troisième voiture restaurant, la 4110, dite Étoile du Nord pour son service vers Amsterdam. Ses panneaux ouvragés sont parmi les plus beaux du train. Ce sera pour le prochain voyage. ”

Venise Simplon-Orient-Express • Paris Gare de l'Est • 26/05/2007